[article] in L'Histoire > N° 501 (Novembre 2022) . - p. 98 | Titre : | Carte blanche : D-Day land | | Type de document : | Livres, articles, périodiques | | Auteurs : | Pierre ASSOULINE, Auteur | | Année de publication : | 2022 | | Article en page(s) : | p. 98 | | Langues : | Français (fre) | | Mots-clés : | débarquement bataille hommage Assouline | | Note de contenu : |
En 2025 ou 2026 ouvrira un vaste site « immersif » sur le Débarquement, la bataille de Normandie et jusqu'à la Libération de Paris, à Carentan-les-Marais, dans la Manche. La polémique enfle.
Bien sûr, on se gardera de tout procès d'intention. Il n'empêche : quand les porteurs d'un tel projet ont si souvent à la bouche les mots « hommage », « pédagogie », « utile » et des expressions telles que « transmission aux jeunes générations », cela finit par devenir suspect. L'initiative est venue d'un producteur de télévision (Stéphane Gateau), d'un homme de médias (Richard Lenormand), d'un producteur de comédies musicales (Roberto Ciurleo) et d'un communicant (Régis Lefebvre). Ils assurent qu'avec ce Débarquement revisité en 3D il ne s'agira pas d'un parc d'attractions ni d'un D-Day land mais d'une « narration ». Allez savoir pourquoi, on a des doutes nourris par la manière même dont ils présentent leur affaire : un grand spectacle « immersif » (on n'y échappe plus désormais) s'appuyant sur « les nouvelles technologies » (idem) afin de produire « un documentaire vivant ».
Cet « Hommage aux héros » (tel est le nom de ce projet), installé à Carentan-les-Marais (Manche), sera constitué d'un théâtre tapissé d'écrans de 1 000 places, mobile puisque les spectateurs seront déplacés sur 400 mètres au moyen d'une plate-forme sur pneus. Ce projet fait penser à un show aux accents d'un grand jeu vidéo. A se demander s'il s'agit d'instruire ou plutôt d'éblouir et d'émouvoir. L'argument avancé est le risque d'oubli lié à la disparition des derniers témoins. Une « imposture » selon les historiens Annette Becker, Julian Jackson, Jean-Luc Leleu et Olivier Wieviorka, qui se sont fendus d'une cinglante tribune dans Le Monde du 27 septembre 2022 : « Touchant tous les publics, le cinéma, la littérature, les bandes dessinées ou les jeux vidéo regorgent de références à l'histoire de la Seconde Guerre mondiale, lorsque celle-ci ne s'invite pas dans les débats de l'élection présidentielle française. »
Les réunions de concertation publique préalables ont été houleuses. Le projet est soutenu par le président de la Région Normandie Hervé Morin (sensible à la création de 250 emplois, techniciens, figurants, etc.), des banques, dont le Crédit agricole Normandie, mais aussi par Tristan Lecoq, inspecteur général de l'Éducation nationale chargé de la mémoire des conflits, et par le général de corps d'armée Olivier Tramond, en qualité de conseiller militaire.
De l'autre côté, les opposants dénoncent un prétexte pour une finalité purement mercantile, rejoints par des enseignants accablés par la mode de l'histoire émotive. Les défenseurs de l'environnement soulignent, pour leur part, que, dans la commune de Carentan-les-Marais, 16 hectares sur les 30 mobilisés devront être artificialisés, provoquant une rupture et une destruction de biodiversité.
Les uns et les autres se disputent la caution d'anciens combattants. L'Américain Charles Norman Shay, qui participa à la première vague d'assaut sur Omaha Beach, défend le projet. Tandis que Léon Gautier, dernier survivant des 177 membres du commando Kieffer, les seuls soldats français du 6 Juin, le dénonce : « Une bonne fois pour toutes, je suis totalement opposé au projet. Je ne souhaite pas qu'on fasse de l'argent sur la mémoire de mes camarades. Il y a déjà bien suffisamment de musées traitant du Débarquement en Normandie pour ne pas en ajouter un de plus. On ne peut faire un parc sur la mort de gens qui ont donné leur vie pour la France. »
Les initiateurs du projet ont voulu parer à la fronde en créant un comité d'éthique associé à un conseil scientifique réunissant des historiens réputés tels que Jean Quellien, spécialiste du Débarquement, professeur émérite à l'université de Caen, le Britannique Antony Beevor et Stéphane Simonnet, ancien directeur scientifique du mémorial de Caen. Le budget est de 90 millions d'euros ; 600 000 visiteurs sont attendus chaque année à partir de 2026. Un autre type de débarquement.
Pierre Assouline est membre du comité scientifique de L'Histoire, il vient de publier Le Paquebot (Gallimard, 2022)
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[article] Carte blanche : D-Day land [Livres, articles, périodiques] / Pierre ASSOULINE, Auteur . - 2022 . - p. 98. Langues : Français ( fre) in L'Histoire > N° 501 (Novembre 2022) . - p. 98 | Mots-clés : | débarquement bataille hommage Assouline | | Note de contenu : |
En 2025 ou 2026 ouvrira un vaste site « immersif » sur le Débarquement, la bataille de Normandie et jusqu'à la Libération de Paris, à Carentan-les-Marais, dans la Manche. La polémique enfle.
Bien sûr, on se gardera de tout procès d'intention. Il n'empêche : quand les porteurs d'un tel projet ont si souvent à la bouche les mots « hommage », « pédagogie », « utile » et des expressions telles que « transmission aux jeunes générations », cela finit par devenir suspect. L'initiative est venue d'un producteur de télévision (Stéphane Gateau), d'un homme de médias (Richard Lenormand), d'un producteur de comédies musicales (Roberto Ciurleo) et d'un communicant (Régis Lefebvre). Ils assurent qu'avec ce Débarquement revisité en 3D il ne s'agira pas d'un parc d'attractions ni d'un D-Day land mais d'une « narration ». Allez savoir pourquoi, on a des doutes nourris par la manière même dont ils présentent leur affaire : un grand spectacle « immersif » (on n'y échappe plus désormais) s'appuyant sur « les nouvelles technologies » (idem) afin de produire « un documentaire vivant ».
Cet « Hommage aux héros » (tel est le nom de ce projet), installé à Carentan-les-Marais (Manche), sera constitué d'un théâtre tapissé d'écrans de 1 000 places, mobile puisque les spectateurs seront déplacés sur 400 mètres au moyen d'une plate-forme sur pneus. Ce projet fait penser à un show aux accents d'un grand jeu vidéo. A se demander s'il s'agit d'instruire ou plutôt d'éblouir et d'émouvoir. L'argument avancé est le risque d'oubli lié à la disparition des derniers témoins. Une « imposture » selon les historiens Annette Becker, Julian Jackson, Jean-Luc Leleu et Olivier Wieviorka, qui se sont fendus d'une cinglante tribune dans Le Monde du 27 septembre 2022 : « Touchant tous les publics, le cinéma, la littérature, les bandes dessinées ou les jeux vidéo regorgent de références à l'histoire de la Seconde Guerre mondiale, lorsque celle-ci ne s'invite pas dans les débats de l'élection présidentielle française. »
Les réunions de concertation publique préalables ont été houleuses. Le projet est soutenu par le président de la Région Normandie Hervé Morin (sensible à la création de 250 emplois, techniciens, figurants, etc.), des banques, dont le Crédit agricole Normandie, mais aussi par Tristan Lecoq, inspecteur général de l'Éducation nationale chargé de la mémoire des conflits, et par le général de corps d'armée Olivier Tramond, en qualité de conseiller militaire.
De l'autre côté, les opposants dénoncent un prétexte pour une finalité purement mercantile, rejoints par des enseignants accablés par la mode de l'histoire émotive. Les défenseurs de l'environnement soulignent, pour leur part, que, dans la commune de Carentan-les-Marais, 16 hectares sur les 30 mobilisés devront être artificialisés, provoquant une rupture et une destruction de biodiversité.
Les uns et les autres se disputent la caution d'anciens combattants. L'Américain Charles Norman Shay, qui participa à la première vague d'assaut sur Omaha Beach, défend le projet. Tandis que Léon Gautier, dernier survivant des 177 membres du commando Kieffer, les seuls soldats français du 6 Juin, le dénonce : « Une bonne fois pour toutes, je suis totalement opposé au projet. Je ne souhaite pas qu'on fasse de l'argent sur la mémoire de mes camarades. Il y a déjà bien suffisamment de musées traitant du Débarquement en Normandie pour ne pas en ajouter un de plus. On ne peut faire un parc sur la mort de gens qui ont donné leur vie pour la France. »
Les initiateurs du projet ont voulu parer à la fronde en créant un comité d'éthique associé à un conseil scientifique réunissant des historiens réputés tels que Jean Quellien, spécialiste du Débarquement, professeur émérite à l'université de Caen, le Britannique Antony Beevor et Stéphane Simonnet, ancien directeur scientifique du mémorial de Caen. Le budget est de 90 millions d'euros ; 600 000 visiteurs sont attendus chaque année à partir de 2026. Un autre type de débarquement.
Pierre Assouline est membre du comité scientifique de L'Histoire, il vient de publier Le Paquebot (Gallimard, 2022)
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Carte blanche : D-Day land / Pierre ASSOULINE in L'Histoire, N° 501 (Novembre 2022)