[article] in L'Histoire > N° 506 (Avril 2023) . - p. 98 | Titre : | Carte blanche : « Pléiade », 666e ! | | Type de document : | Livres, articles, périodiques | | Auteurs : | Pierre ASSOULINE, Auteur | | Année de publication : | 2023 | | Article en page(s) : | p. 98 | | Langues : | Français (fre) | | Mots-clés : | pléiade volumes Pierre Assouline | | Note de contenu : |
Avec Steinbeck, la « Pléiade » compte désormais 666 volumes. En attendant Céline, réédité en mai 2023. A côté de superbes éditions critiques, la collection inclut quelques jolis cas de falsification.
Mourir pour la « Pléiade » ? Peut-être pas. Mais s'engager afin qu'elle conserve son intégrité, ils sont nombreux à s'y jeter. Ses lecteurs entretiennent un lien si personnel avec la fameuse collection de Gallimard, ses choix et ses dilections, qu'ils la tiennent pour un service public sur lequel ils auraient des droits. Le 666e numéro de la collection et le plus récemment paru (Romans de John Steinbeck, publié en mars 2023), si longtemps attendu, n'a pas suscité de remous. Annoncés pour mai 2023, les quatre volumes de Romans de Céline, recomposés, actualisés, enrichis grâce à la récente exhumation d'un considérable gisement d'inédits, devraient, eux, soulever les passions.
Le fait est que la plus prestigieuse collection de l'édition française, fondée en 1931 par Jacques Schiffrin et rachetée trois ans plus tard par Gallimard, jouit d'un statut sans égal. En légitimant une oeuvre, elle consacre un écrivain. La « pléiadisation » agit comme une panthéonisation. A croire que la « Pléiade » est devenue une institution si classique et si patrimoniale qu'elle relève désormais des lieux de mémoire. Au risque de graver dans le marbre d'un volume ou d'un coffret aux allures de pierre tombale les titres et le nom de l'auteur.
Ce qui a dû être fâcheux pour les dix-huit auteurs qui y sont entrés de leur vivant (Gide, Malraux, Ionesco, Char, Sarraute, Lévi-Strauss, etc.*). Parmi eux, certains, comme Marguerite Yourcenar ou Milan Kundera, ont exigé et obtenu de bâtir leur propre mausolée de papier. Les lecteurs sont généralement tenus dans l'ignorance de ce privilège de la maîtrise d'oeuvre car il se fait sous anonymat. Il ne se traduit pas que par le choix des textes : il en va du contrôle de la biographie, de la chronologie, de la bibliographie, souvent épurées. Une véritable édition critique de type universitaire, qui a pourtant fait la réputation méritée de la collection, en est bannie.
Ce mépris de toute morale de l'archive, qui aboutit à une déshistoricisation de l'oeuvre, permet de mieux l'universaliser, se justifia Milan Kundera. Il a choisi d'intituler son volume de la « Pléiade » en 2011 Œuvre, au singulier. Il s'agit bien de sa version de son oeuvre, celle qui servira de référence à toutes les traductions dans le monde - en omettant des textes de jeunesse, des articles importants, des brouillons, des variantes, sa biographie et, surtout, l'appareil critique. Montherlant déjà avait fait inscrire sur la page de titre la mention « Texte ne varietur », afin d'être bien sûr qu'il n'y soit rien changé.
La palme revient au poète Saint-John Perse, Prix Nobel de littérature 1960 et diplomate sous son vrai nom d'Alexis Leger, entré de son vivant dans la collection en 1972. Il a tant tripatouillé sa « Pléiade » qu'il en a mythifié sa vie et son oeuvre. Une imposture, dénoncée en son temps par René Massigli et Léon Noël, deux de ses anciens collègues du Quai d'Orsay, qui le qualifièrent de « faussaire » pour avoir truqué sa correspondance en la réécrivant sinon en l'inventant (Lettres d'Asie), puis par d'autres qui y relevèrent des contradictions. Jean-Pierre Vernant mit notamment en doute une lettre supposément adressée par Alexis Leger à Philippe Berthelot en 1917, mais en réalité dans les années 1960, évoquant « la marche finale de la communauté chinoise vers un collectivisme proche du communisme léniniste », afin de se donner un rôle de visionnaire. Ses défenseurs voulurent y voir l'ultime geste créateur de l'artiste. L'universitaire Renée Ventresque, qui a consacré un livre à la fabrication de cette « Pléiade » hors norme, l'avait sous-titré : La poésie contre l'histoire (Classiques Garnier, 2011). C'est peu de le dire... Un cas d'école !
Pierre Assouline est membre du comité scientifique de L'Histoire, il a publié Le Paquebot (Gallimard, 2022)
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[article] Carte blanche : « Pléiade », 666e ! [Livres, articles, périodiques] / Pierre ASSOULINE, Auteur . - 2023 . - p. 98. Langues : Français ( fre) in L'Histoire > N° 506 (Avril 2023) . - p. 98 | Mots-clés : | pléiade volumes Pierre Assouline | | Note de contenu : |
Avec Steinbeck, la « Pléiade » compte désormais 666 volumes. En attendant Céline, réédité en mai 2023. A côté de superbes éditions critiques, la collection inclut quelques jolis cas de falsification.
Mourir pour la « Pléiade » ? Peut-être pas. Mais s'engager afin qu'elle conserve son intégrité, ils sont nombreux à s'y jeter. Ses lecteurs entretiennent un lien si personnel avec la fameuse collection de Gallimard, ses choix et ses dilections, qu'ils la tiennent pour un service public sur lequel ils auraient des droits. Le 666e numéro de la collection et le plus récemment paru (Romans de John Steinbeck, publié en mars 2023), si longtemps attendu, n'a pas suscité de remous. Annoncés pour mai 2023, les quatre volumes de Romans de Céline, recomposés, actualisés, enrichis grâce à la récente exhumation d'un considérable gisement d'inédits, devraient, eux, soulever les passions.
Le fait est que la plus prestigieuse collection de l'édition française, fondée en 1931 par Jacques Schiffrin et rachetée trois ans plus tard par Gallimard, jouit d'un statut sans égal. En légitimant une oeuvre, elle consacre un écrivain. La « pléiadisation » agit comme une panthéonisation. A croire que la « Pléiade » est devenue une institution si classique et si patrimoniale qu'elle relève désormais des lieux de mémoire. Au risque de graver dans le marbre d'un volume ou d'un coffret aux allures de pierre tombale les titres et le nom de l'auteur.
Ce qui a dû être fâcheux pour les dix-huit auteurs qui y sont entrés de leur vivant (Gide, Malraux, Ionesco, Char, Sarraute, Lévi-Strauss, etc.*). Parmi eux, certains, comme Marguerite Yourcenar ou Milan Kundera, ont exigé et obtenu de bâtir leur propre mausolée de papier. Les lecteurs sont généralement tenus dans l'ignorance de ce privilège de la maîtrise d'oeuvre car il se fait sous anonymat. Il ne se traduit pas que par le choix des textes : il en va du contrôle de la biographie, de la chronologie, de la bibliographie, souvent épurées. Une véritable édition critique de type universitaire, qui a pourtant fait la réputation méritée de la collection, en est bannie.
Ce mépris de toute morale de l'archive, qui aboutit à une déshistoricisation de l'oeuvre, permet de mieux l'universaliser, se justifia Milan Kundera. Il a choisi d'intituler son volume de la « Pléiade » en 2011 Œuvre, au singulier. Il s'agit bien de sa version de son oeuvre, celle qui servira de référence à toutes les traductions dans le monde - en omettant des textes de jeunesse, des articles importants, des brouillons, des variantes, sa biographie et, surtout, l'appareil critique. Montherlant déjà avait fait inscrire sur la page de titre la mention « Texte ne varietur », afin d'être bien sûr qu'il n'y soit rien changé.
La palme revient au poète Saint-John Perse, Prix Nobel de littérature 1960 et diplomate sous son vrai nom d'Alexis Leger, entré de son vivant dans la collection en 1972. Il a tant tripatouillé sa « Pléiade » qu'il en a mythifié sa vie et son oeuvre. Une imposture, dénoncée en son temps par René Massigli et Léon Noël, deux de ses anciens collègues du Quai d'Orsay, qui le qualifièrent de « faussaire » pour avoir truqué sa correspondance en la réécrivant sinon en l'inventant (Lettres d'Asie), puis par d'autres qui y relevèrent des contradictions. Jean-Pierre Vernant mit notamment en doute une lettre supposément adressée par Alexis Leger à Philippe Berthelot en 1917, mais en réalité dans les années 1960, évoquant « la marche finale de la communauté chinoise vers un collectivisme proche du communisme léniniste », afin de se donner un rôle de visionnaire. Ses défenseurs voulurent y voir l'ultime geste créateur de l'artiste. L'universitaire Renée Ventresque, qui a consacré un livre à la fabrication de cette « Pléiade » hors norme, l'avait sous-titré : La poésie contre l'histoire (Classiques Garnier, 2011). C'est peu de le dire... Un cas d'école !
Pierre Assouline est membre du comité scientifique de L'Histoire, il a publié Le Paquebot (Gallimard, 2022)
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Carte blanche : « Pléiade », 666e ! / Pierre ASSOULINE in L'Histoire, N° 506 (Avril 2023)