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Auteur Catherine BRICE
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[article]
in L'Histoire > N° 482 (Avril 2021) . - 20-21
Titre : Anniversaire - Dante, Italien suprêmeCather Type de document : Livres, articles, périodiques Auteurs : Catherine BRICE, Auteur Année de publication : 2021 Article en page(s) : 20-21 Langues : Français (fre) [article] Anniversaire - Dante, Italien suprêmeCather [Livres, articles, périodiques] / Catherine BRICE, Auteur . - 2021 . - 20-21.
Langues : Français (fre)
in L'Histoire > N° 482 (Avril 2021) . - 20-21"Croire, obéir, combattre": la religion fasciste / Catherine BRICE in L'Histoire, N° 264. (04/2002)
[article]
in L'Histoire > N° 264. (04/2002)
Titre : "Croire, obéir, combattre": la religion fasciste Type de document : Livres, articles, périodiques Auteurs : Catherine BRICE, Auteur Mots-clés : FASCISME ITALIE Résumé : Mises en scène grandioses; rituels apparemment immuables, célébrations solennelles..Et si le fascisme italien avait été une religion ? Telle est la thèse du professeur de sciences politiques italien Emilio Gentile [article] "Croire, obéir, combattre": la religion fasciste [Livres, articles, périodiques] / Catherine BRICE, Auteur.
in L'Histoire > N° 264. (04/2002)
Mots-clés : FASCISME ITALIE Résumé : Mises en scène grandioses; rituels apparemment immuables, célébrations solennelles..Et si le fascisme italien avait été une religion ? Telle est la thèse du professeur de sciences politiques italien Emilio Gentile Guide des Livres : L'autre Mussolini / Catherine BRICE in L'Histoire, N° 488 (Octobre 2021)
[article]
in L'Histoire > N° 488 (Octobre 2021) . - p.78-79
Titre : Guide des Livres : L'autre Mussolini Type de document : Livres, articles, périodiques Auteurs : Catherine BRICE, Auteur Année de publication : 2021 Article en page(s) : p.78-79 Langues : Français (fre) Mots-clés : mussolini duce décrypter Maurizio Serra Note de contenu :
Dans une biographie très enlevée, l'académicien Maurizio Serra s'attache à décrypter la personnalité du Duce. Un exercice aussi périlleux que captivant, qui retrace le parcours du dictateur italien jusqu'à son exécution, le 28 avril 1945.
Malgré un titre un peu racoleur, Maurizio Serra, le biographe de D'Annunzio et de Malaparte, élu en 2020 à l'Académie française, propose une lecture à la fois érudite et personnelle du destin de Benito Mussolini. Sans parler de la trilogie à succès M. d'Antonio Scurati (dont le deuxième volume vient de paraître aux Arènes), d'importantes biographies du Duce existent déjà, de Denis Mack Smith à Pierre Milza en passant par Michel Ostenc et, bien sûr, Renzo De Felice : elles ont en commun de poser, in fine, la question du rôle de Mussolini dans la mise en place du régime fasciste qui, durant vingt ans, tenta de forger une Italie virile, totalitaire et impériale. Ici, Maurizio Serra s'intéresse d'abord au personnage, soumettant une analyse psychologique fouillée et des résultats nouveaux, dans un style parfois familier - ainsi, à la page 15, on peut lire : « S'il a pondu toutes sortes de mots d'ordre »... Cette rupture de ton assumée par l'auteur et l'ironie qui irrigue le récit donnent au livre une couleur très originale.
Si le Duce s'est souvent présenté aux Italiens et au monde comme un personnage emporté, sanguin, voire ridicule dans son emphase et ses poses théâtrales, c'est un Mussolini des passions sombres dont Maurizio Serra fait le portrait. Un homme d'une ambition démesurée, froid et calculateur, pouvant cultiver une haine tenace, sans attachement à une idéologie autre que le culte de sa personne, qui se révéla fin stratège au début du Ventennio mais bien piètre homme d'État dans les années conduisant à la guerre et à sa chute. Dès 1919, un rapport de police le décrivait ainsi : « Il est très intelligent, circonspect, calculateur, indifférent à l'argent si ce n'est pour corrompre ; mais également sensuel, émotif, vindicatif, dévoré par l'ambition. Il veut dominer, convaincu de représenter une force essentielle dans le destin de l'Italie, et n'acceptera jamais de jouer les seconds rôles. » Au regard de cette quête mégalomane, le portrait crépusculaire du dictateur durant la république de Salò est particulièrement glaçant et saisissant. Il est certain qu'après les travaux d'Emilio Gentile sur le totalitarisme fasciste, cette interprétation « a-idéologique » fera discuter les spécialistes. De même, l'affirmation selon laquelle Mussolini ne vint à l'antisémitisme en 1938 que par calcul politique, sans s'appuyer sur un corpus doctrinal semblable à celui du nazisme, ne manquera pas de raviver les débats sur ce tournant terrible.
Ses femmes et compagnons
Cet autre Mussolini, débusqué et dessiné avec talent par Maurizio Serra, est crédible. Toutefois, brosser un portrait psychologique aussi précis à presque un siècle de distance est un exercice aussi périlleux que captivant. La grande force du livre réside dans les excellentes galeries de portraits de l'entourage de Mussolini, ainsi que dans le traitement, impeccable et très clair, des étapes de la politique intérieure et internationale du régime. Les chapitres sobrement intitulés « Ses proches », « Ses femmes », « Ses hommes » sont lumineux. Ils débutent par cette affirmation de Mussolini : « Je n'ai jamais eu d'amis dans ma vie. » Et pourtant, le Duce fut entouré. Sa famille et les femmes de sa vie sont traitées de manière subtile, d'Ida Dalser à donna Rachele, en passant par l'incontournable « Claretta » Petacci mais aussi sa fille Edda, dont il fit assassiner le mari, Galeazzo Ciano, à Vérone. Les portraits des hiérarques et des « compagnons » politiques du Duce - Starace, Farinacci, Grandi, Bottai, etc. - sont tout à fait remarquables : l'auteur ne s'arrête pas à leurs seuls rapports avec le Duce, mais les place dans une plus longue durée et de plus vastes réseaux, avec un vrai talent d'écriture, une réelle sensibilité et une perspicacité dans la recherche de leurs ressorts sociaux, sentimentaux, passionnels. On découvre ainsi le personnage étonnant de celui qui fut un des rares complices du Duce, l'ambassadeur du Japon Hidaka Shirokuro, qui le suivit à Salò, ou encore Nicolò Bombacci, un des fondateurs avec Gramsci du Parti communiste d'Italie, en 1921, et qui accompagna ensuite Mussolini jusqu'à la fin.
La deuxième partie, « Ses défis », est sans doute plus classique, mais tout aussi enlevée. La politique intérieure, de la Marche sur Rome jusqu'au Grand Conseil du fascisme du 25 juillet 1943 qui destitua Mussolini, y est exposée de manière personnelle, intelligible avec, toujours, une certaine ironie. Sans rentrer dans les débats propres aux historiens, mais en montrant qu'il les connaît bien, Maurizio Serra expose, à la lumière de la personnalité du Duce, les choix, les hésitations, les renoncements et les erreurs du chef du régime, celui qui « a toujours raison ».
Les liens avec l'institution monarchique et Victor-Emmanuel III sont décrits avec finesse, entre relations personnelles et enjeux de pouvoir. Enfin, de la politique étrangère fasciste, on retiendra l'aventure coloniale du régime dépeinte sans complaisance. C'est peut-être dans la troisième partie, « La faillite », que le lecteur découvrira vraiment un autre Mussolini, celui de la défaite, de la résignation, de l'indifférence, mais aussi de l'inhumanité. Que ce soit dans sa conduite erratique de la guerre, ou encore son attitude lors de sa destitution voulue par le roi, là encore, on se laisse guider avec bonheur malgré la complexité des problèmes abordés. Enfin, la période de la guerre civile italienne et de la république de Salò, de ses exactions, puis la fin du Duce, des hiérarques et de « Claretta » Petacci - qui n'avait jamais voulu l'abandonner - font l'objet d'un récit subtil, mesuré, incarné. L'exécution du 28 avril 1945, près de Dongo, puis l'exposition obscène des corps piazzale Loreto, à Milan, sont relatés sans concession ni pour les victimes, ni pour les résistants qui les exécutèrent et sans esquiver les controverses encore vives sur lesquelles l'auteur fait le point.
Cet ouvrage, servi par des bonheurs d'écriture qui le rendent passionnant, livre une vision incarnée du fascisme et de son Duce, dont on pourra certes discuter mais qui, toujours, tient compte des débats et des connaissances les plus récentes.
Mot clé :
Livre
Professeure à l'université Paris-Est-Créteil
Le Mystère Mussolini, Maurizio Serra, Perrin, 2021, 500 p., 25 E.
[article] Guide des Livres : L'autre Mussolini [Livres, articles, périodiques] / Catherine BRICE, Auteur . - 2021 . - p.78-79.
Langues : Français (fre)
in L'Histoire > N° 488 (Octobre 2021) . - p.78-79
Mots-clés : mussolini duce décrypter Maurizio Serra Note de contenu :
Dans une biographie très enlevée, l'académicien Maurizio Serra s'attache à décrypter la personnalité du Duce. Un exercice aussi périlleux que captivant, qui retrace le parcours du dictateur italien jusqu'à son exécution, le 28 avril 1945.
Malgré un titre un peu racoleur, Maurizio Serra, le biographe de D'Annunzio et de Malaparte, élu en 2020 à l'Académie française, propose une lecture à la fois érudite et personnelle du destin de Benito Mussolini. Sans parler de la trilogie à succès M. d'Antonio Scurati (dont le deuxième volume vient de paraître aux Arènes), d'importantes biographies du Duce existent déjà, de Denis Mack Smith à Pierre Milza en passant par Michel Ostenc et, bien sûr, Renzo De Felice : elles ont en commun de poser, in fine, la question du rôle de Mussolini dans la mise en place du régime fasciste qui, durant vingt ans, tenta de forger une Italie virile, totalitaire et impériale. Ici, Maurizio Serra s'intéresse d'abord au personnage, soumettant une analyse psychologique fouillée et des résultats nouveaux, dans un style parfois familier - ainsi, à la page 15, on peut lire : « S'il a pondu toutes sortes de mots d'ordre »... Cette rupture de ton assumée par l'auteur et l'ironie qui irrigue le récit donnent au livre une couleur très originale.
Si le Duce s'est souvent présenté aux Italiens et au monde comme un personnage emporté, sanguin, voire ridicule dans son emphase et ses poses théâtrales, c'est un Mussolini des passions sombres dont Maurizio Serra fait le portrait. Un homme d'une ambition démesurée, froid et calculateur, pouvant cultiver une haine tenace, sans attachement à une idéologie autre que le culte de sa personne, qui se révéla fin stratège au début du Ventennio mais bien piètre homme d'État dans les années conduisant à la guerre et à sa chute. Dès 1919, un rapport de police le décrivait ainsi : « Il est très intelligent, circonspect, calculateur, indifférent à l'argent si ce n'est pour corrompre ; mais également sensuel, émotif, vindicatif, dévoré par l'ambition. Il veut dominer, convaincu de représenter une force essentielle dans le destin de l'Italie, et n'acceptera jamais de jouer les seconds rôles. » Au regard de cette quête mégalomane, le portrait crépusculaire du dictateur durant la république de Salò est particulièrement glaçant et saisissant. Il est certain qu'après les travaux d'Emilio Gentile sur le totalitarisme fasciste, cette interprétation « a-idéologique » fera discuter les spécialistes. De même, l'affirmation selon laquelle Mussolini ne vint à l'antisémitisme en 1938 que par calcul politique, sans s'appuyer sur un corpus doctrinal semblable à celui du nazisme, ne manquera pas de raviver les débats sur ce tournant terrible.
Ses femmes et compagnons
Cet autre Mussolini, débusqué et dessiné avec talent par Maurizio Serra, est crédible. Toutefois, brosser un portrait psychologique aussi précis à presque un siècle de distance est un exercice aussi périlleux que captivant. La grande force du livre réside dans les excellentes galeries de portraits de l'entourage de Mussolini, ainsi que dans le traitement, impeccable et très clair, des étapes de la politique intérieure et internationale du régime. Les chapitres sobrement intitulés « Ses proches », « Ses femmes », « Ses hommes » sont lumineux. Ils débutent par cette affirmation de Mussolini : « Je n'ai jamais eu d'amis dans ma vie. » Et pourtant, le Duce fut entouré. Sa famille et les femmes de sa vie sont traitées de manière subtile, d'Ida Dalser à donna Rachele, en passant par l'incontournable « Claretta » Petacci mais aussi sa fille Edda, dont il fit assassiner le mari, Galeazzo Ciano, à Vérone. Les portraits des hiérarques et des « compagnons » politiques du Duce - Starace, Farinacci, Grandi, Bottai, etc. - sont tout à fait remarquables : l'auteur ne s'arrête pas à leurs seuls rapports avec le Duce, mais les place dans une plus longue durée et de plus vastes réseaux, avec un vrai talent d'écriture, une réelle sensibilité et une perspicacité dans la recherche de leurs ressorts sociaux, sentimentaux, passionnels. On découvre ainsi le personnage étonnant de celui qui fut un des rares complices du Duce, l'ambassadeur du Japon Hidaka Shirokuro, qui le suivit à Salò, ou encore Nicolò Bombacci, un des fondateurs avec Gramsci du Parti communiste d'Italie, en 1921, et qui accompagna ensuite Mussolini jusqu'à la fin.
La deuxième partie, « Ses défis », est sans doute plus classique, mais tout aussi enlevée. La politique intérieure, de la Marche sur Rome jusqu'au Grand Conseil du fascisme du 25 juillet 1943 qui destitua Mussolini, y est exposée de manière personnelle, intelligible avec, toujours, une certaine ironie. Sans rentrer dans les débats propres aux historiens, mais en montrant qu'il les connaît bien, Maurizio Serra expose, à la lumière de la personnalité du Duce, les choix, les hésitations, les renoncements et les erreurs du chef du régime, celui qui « a toujours raison ».
Les liens avec l'institution monarchique et Victor-Emmanuel III sont décrits avec finesse, entre relations personnelles et enjeux de pouvoir. Enfin, de la politique étrangère fasciste, on retiendra l'aventure coloniale du régime dépeinte sans complaisance. C'est peut-être dans la troisième partie, « La faillite », que le lecteur découvrira vraiment un autre Mussolini, celui de la défaite, de la résignation, de l'indifférence, mais aussi de l'inhumanité. Que ce soit dans sa conduite erratique de la guerre, ou encore son attitude lors de sa destitution voulue par le roi, là encore, on se laisse guider avec bonheur malgré la complexité des problèmes abordés. Enfin, la période de la guerre civile italienne et de la république de Salò, de ses exactions, puis la fin du Duce, des hiérarques et de « Claretta » Petacci - qui n'avait jamais voulu l'abandonner - font l'objet d'un récit subtil, mesuré, incarné. L'exécution du 28 avril 1945, près de Dongo, puis l'exposition obscène des corps piazzale Loreto, à Milan, sont relatés sans concession ni pour les victimes, ni pour les résistants qui les exécutèrent et sans esquiver les controverses encore vives sur lesquelles l'auteur fait le point.
Cet ouvrage, servi par des bonheurs d'écriture qui le rendent passionnant, livre une vision incarnée du fascisme et de son Duce, dont on pourra certes discuter mais qui, toujours, tient compte des débats et des connaissances les plus récentes.
Mot clé :
Livre
Professeure à l'université Paris-Est-Créteil
Le Mystère Mussolini, Maurizio Serra, Perrin, 2021, 500 p., 25 E.
Guide des Livres : l'Empire austro-hongrois, creuset des peuples / Catherine BRICE in L'Histoire, N° 489 (septembre 2021)
[article]
in L'Histoire > N° 489 (septembre 2021) . - p. 80-81
Titre : Guide des Livres : l'Empire austro-hongrois, creuset des peuples Type de document : Livres, articles, périodiques Auteurs : Catherine BRICE, Auteur Année de publication : 2021 Article en page(s) : p. 80-81 Langues : Français (fre) Mots-clés : Empire austro-hongrois peuple politique Habsbourg Note de contenu :
Pieter M. Judson livre ici une relecture passionnante de la mécanique impériale dans l'empire des Habsbourg. Loin de la vision noire de la « prison des peuples », il montre comment cette « maison commune » chercha à homogénéiser les territoires dans un ensemble multiculturel.
Il faut remercier les éditions Perrin d'avoir traduit ce livre important, publié en 2016 par Harvard University Press. Cette nouvelle histoire de l'empire des Habsbourg est une contribution essentielle à l'intelligence des transformations de cet immense État, bousculant bien des lieux communs et des certitudes paresseusement répétés. En s'attachant à comprendre le fonctionnement interne de la machine impériale, de ses institutions et de ses pratiques administratives, l'auteur enterre l'image d'une « prison des peuples » minée par les tensions ethniques et linguistiques et condamnée à un destin inexorablement funeste. Sur un arc chronologique qui va de Marie-Thérèse au XVIIIe siècle jusqu'au lendemain du premier conflit mondial, Pieter M. Judson remet, si l'on peut dire, l'Empire des Habsbourg et ses institutions au centre de la réflexion. Loin d'être une machine inerte, ce dernier n'a cessé de se moderniser, cherchant à construire un État efficace et puissant : un des éléments forts de la démonstration réside dans la mise en évidence d'une élaboration commune, menée par les autorités comme par une importante partie de la population autrichienne autour d'un culte partagé porté à l'empereur et à la dynastie.
Pieter M. Judson, depuis plusieurs années déjà, avait relativisé, dans Guardians of the Nation (Harvard University Press, 2007), la place des nationalismes dans l'empire, en soulignant l'« indifférence au nationalisme dans la monarchie autrichienne » et en précisant la polysémie du terme. Pour lui, les différences linguistiques ou religieuses ne préexistent pas aux mouvements nationaux, qui découlent, en définitive, des projets de modernisation du pays. La vaste opération de recensement menée sous Marie-Thérèse afin de faciliter la levée de l'impôt et le recrutement militaire est l'occasion pour les paysans, selon l'auteur, de présenter aux soldats des plaintes quant aux exactions subies localement : l'État apparaît alors comme un recours et, de fait, l'instauration d'un enseignement obligatoire en langue « vernaculaire » - aussi ouvert aux filles - ou l'expropriation de certains ordres religieux renforcèrent la confiance des populations en Vienne, face à l'Église et aux élites locales.
Les années suivantes, sous Joseph II, le fils de Marie-Thérèse, la mise en oeuvre d'un despotisme éclairé fut une période de reprise en main politique, le gouvernement se présentant désormais moins comme un agent du changement que comme un élément de conservation. Mais, dans la première moitié du XIXe siècle, la politique autoritaire du chancelier Metternich fit long feu : la riche sociabilité politique, la diversité des débats, eurent pour conséquence de voir les transformations du pays moins pensées par l'État, et de plus en plus par la société, mais avec des attentes évidemment diversifiées et incompatibles. Ce que les paysans galiciens attendaient de l'État était bien différent de ce qu'en espérait la noblesse magyare.
L'explosion de 1846-1848 est l'expression même de la diversité des attentes : fin du féodalisme pour les campagnes, liberté et Constitution pour les élites urbaines, autonomie accrue pour les aristocraties ; mais nombreux furent ceux qui, dans le même temps, demandaient un retour aux valeurs impériales qui leur semblaient avoir été abandonnées. Ainsi, bien plus qu'un mouvement des nationalités, c'est un retour à l'empire - un empire rénové - qui est réclamé.
La vision que Pieter M. Judson propose de l'après-1848 est, là encore, originale et riche de suggestions : bien qu'encadrée par une police politique répressive, la politique sociale, économique et culturelle de François-Joseph fut innovante. Allier un État « policier » à une politique qui mit fin au féodalisme, préserva la propriété, la liberté de mouvement, fit abandonner les règles des corporations et unifia légalement le pays tout en garantissant l'égalité semble être une combinaison étonnante, mais elle fut pourtant celle de nombre d'États européens.
C'est au compromis de 1867, qui vit la création de l'Empire austro-hongrois, que l'auteur fait remonter la promotion des politiques nationales, la Hongrie se révélant beaucoup plus assimilationniste que l'Autriche, qui conservait son caractère multiconfessionnel et pluriculturel. Dès lors, le nationalisme se déclina selon de nombreuses lignes, nouveau langage des conflits politiques et sociaux traduits en termes modernes, et cristallisés sur la culture.
Après 1867, écrit l'historien, « j'interprète de tels affrontements en Autriche-Hongrie comme étant avant tout de nature politique, et non pas des produits naturels du caractère multilingue de cette société ».
La mise en cause de la dictature militaire, extrêmement dure, établie de 1914 à 1916, pour expliquer l'érosion finale de l'empire n'est pas une nouveauté. Toutefois, l'angle qu'il propose est, lui, très neuf : c'est moins l'absence de liberté, explique-t-il, qui est alors en cause que la dissolution du lien de réciprocité, d'obligation mutuelle, établi entre les sujets et l'État, le rendant désormais inutile. Ce à quoi s'ajoutent la défaite et la décomposition de l'empire. Pour finir, ce n'est pas une défense et illustration de l'empire des Habsbourg que propose l'auteur, mais bien une relecture passionnante de la mécanique impériale.
Il montre comment, indirectement, l'idée nationale découle des projets impériaux qui cherchaient à homogénéiser les territoires et uniformiser les individus. Dès lors les sujets se sont emparés des langues, des religions et des cultures utilisées par l'administration de l'empire comme autant de marqueurs pour mieux « classer » les populations, et ces outils deviennent des moyens de différenciation « nationale ».
Ainsi, l'originalité de la démonstration de Pieter M. Judson réside dans la dialectique qu'il établit entre la politique impériale de modernisation et la naissance des idées nationales, montrant comment l'administration des Habsbourg, employée à susciter la loyauté de ses sujets tout en modernisant l'empire, avait in fine donné les outils aux diverses communautés pour se penser comme « nationalité », des nationalités en concurrence entre elles et de plus en plus en opposition au gouvernement impérial, qui ne peut répondre à leurs attentes contradictoires.
Mot clé :
Livre
Catherine Brice est professeure à l'université Paris-Est-Créteil.[article] Guide des Livres : l'Empire austro-hongrois, creuset des peuples [Livres, articles, périodiques] / Catherine BRICE, Auteur . - 2021 . - p. 80-81.
Langues : Français (fre)
in L'Histoire > N° 489 (septembre 2021) . - p. 80-81
Mots-clés : Empire austro-hongrois peuple politique Habsbourg Note de contenu :
Pieter M. Judson livre ici une relecture passionnante de la mécanique impériale dans l'empire des Habsbourg. Loin de la vision noire de la « prison des peuples », il montre comment cette « maison commune » chercha à homogénéiser les territoires dans un ensemble multiculturel.
Il faut remercier les éditions Perrin d'avoir traduit ce livre important, publié en 2016 par Harvard University Press. Cette nouvelle histoire de l'empire des Habsbourg est une contribution essentielle à l'intelligence des transformations de cet immense État, bousculant bien des lieux communs et des certitudes paresseusement répétés. En s'attachant à comprendre le fonctionnement interne de la machine impériale, de ses institutions et de ses pratiques administratives, l'auteur enterre l'image d'une « prison des peuples » minée par les tensions ethniques et linguistiques et condamnée à un destin inexorablement funeste. Sur un arc chronologique qui va de Marie-Thérèse au XVIIIe siècle jusqu'au lendemain du premier conflit mondial, Pieter M. Judson remet, si l'on peut dire, l'Empire des Habsbourg et ses institutions au centre de la réflexion. Loin d'être une machine inerte, ce dernier n'a cessé de se moderniser, cherchant à construire un État efficace et puissant : un des éléments forts de la démonstration réside dans la mise en évidence d'une élaboration commune, menée par les autorités comme par une importante partie de la population autrichienne autour d'un culte partagé porté à l'empereur et à la dynastie.
Pieter M. Judson, depuis plusieurs années déjà, avait relativisé, dans Guardians of the Nation (Harvard University Press, 2007), la place des nationalismes dans l'empire, en soulignant l'« indifférence au nationalisme dans la monarchie autrichienne » et en précisant la polysémie du terme. Pour lui, les différences linguistiques ou religieuses ne préexistent pas aux mouvements nationaux, qui découlent, en définitive, des projets de modernisation du pays. La vaste opération de recensement menée sous Marie-Thérèse afin de faciliter la levée de l'impôt et le recrutement militaire est l'occasion pour les paysans, selon l'auteur, de présenter aux soldats des plaintes quant aux exactions subies localement : l'État apparaît alors comme un recours et, de fait, l'instauration d'un enseignement obligatoire en langue « vernaculaire » - aussi ouvert aux filles - ou l'expropriation de certains ordres religieux renforcèrent la confiance des populations en Vienne, face à l'Église et aux élites locales.
Les années suivantes, sous Joseph II, le fils de Marie-Thérèse, la mise en oeuvre d'un despotisme éclairé fut une période de reprise en main politique, le gouvernement se présentant désormais moins comme un agent du changement que comme un élément de conservation. Mais, dans la première moitié du XIXe siècle, la politique autoritaire du chancelier Metternich fit long feu : la riche sociabilité politique, la diversité des débats, eurent pour conséquence de voir les transformations du pays moins pensées par l'État, et de plus en plus par la société, mais avec des attentes évidemment diversifiées et incompatibles. Ce que les paysans galiciens attendaient de l'État était bien différent de ce qu'en espérait la noblesse magyare.
L'explosion de 1846-1848 est l'expression même de la diversité des attentes : fin du féodalisme pour les campagnes, liberté et Constitution pour les élites urbaines, autonomie accrue pour les aristocraties ; mais nombreux furent ceux qui, dans le même temps, demandaient un retour aux valeurs impériales qui leur semblaient avoir été abandonnées. Ainsi, bien plus qu'un mouvement des nationalités, c'est un retour à l'empire - un empire rénové - qui est réclamé.
La vision que Pieter M. Judson propose de l'après-1848 est, là encore, originale et riche de suggestions : bien qu'encadrée par une police politique répressive, la politique sociale, économique et culturelle de François-Joseph fut innovante. Allier un État « policier » à une politique qui mit fin au féodalisme, préserva la propriété, la liberté de mouvement, fit abandonner les règles des corporations et unifia légalement le pays tout en garantissant l'égalité semble être une combinaison étonnante, mais elle fut pourtant celle de nombre d'États européens.
C'est au compromis de 1867, qui vit la création de l'Empire austro-hongrois, que l'auteur fait remonter la promotion des politiques nationales, la Hongrie se révélant beaucoup plus assimilationniste que l'Autriche, qui conservait son caractère multiconfessionnel et pluriculturel. Dès lors, le nationalisme se déclina selon de nombreuses lignes, nouveau langage des conflits politiques et sociaux traduits en termes modernes, et cristallisés sur la culture.
Après 1867, écrit l'historien, « j'interprète de tels affrontements en Autriche-Hongrie comme étant avant tout de nature politique, et non pas des produits naturels du caractère multilingue de cette société ».
La mise en cause de la dictature militaire, extrêmement dure, établie de 1914 à 1916, pour expliquer l'érosion finale de l'empire n'est pas une nouveauté. Toutefois, l'angle qu'il propose est, lui, très neuf : c'est moins l'absence de liberté, explique-t-il, qui est alors en cause que la dissolution du lien de réciprocité, d'obligation mutuelle, établi entre les sujets et l'État, le rendant désormais inutile. Ce à quoi s'ajoutent la défaite et la décomposition de l'empire. Pour finir, ce n'est pas une défense et illustration de l'empire des Habsbourg que propose l'auteur, mais bien une relecture passionnante de la mécanique impériale.
Il montre comment, indirectement, l'idée nationale découle des projets impériaux qui cherchaient à homogénéiser les territoires et uniformiser les individus. Dès lors les sujets se sont emparés des langues, des religions et des cultures utilisées par l'administration de l'empire comme autant de marqueurs pour mieux « classer » les populations, et ces outils deviennent des moyens de différenciation « nationale ».
Ainsi, l'originalité de la démonstration de Pieter M. Judson réside dans la dialectique qu'il établit entre la politique impériale de modernisation et la naissance des idées nationales, montrant comment l'administration des Habsbourg, employée à susciter la loyauté de ses sujets tout en modernisant l'empire, avait in fine donné les outils aux diverses communautés pour se penser comme « nationalité », des nationalités en concurrence entre elles et de plus en plus en opposition au gouvernement impérial, qui ne peut répondre à leurs attentes contradictoires.
Mot clé :
Livre
Catherine Brice est professeure à l'université Paris-Est-Créteil.Guide Livres : Un Empire des circonstances / Catherine BRICE in L'Histoire, N° 506 (Avril 2023)
[article]
in L'Histoire > N° 506 (Avril 2023) . - p. 78-79
Titre : Guide Livres : Un Empire des circonstances Type de document : Livres, articles, périodiques Auteurs : Catherine BRICE, Auteur Année de publication : 2023 Article en page(s) : p. 78-79 Langues : Français (fre) Mots-clés : livre lecture Napoléon fardeau empereur régions Note de contenu :
Après les avoir conquis par la force, la France napoléonienne s'est adjointe, à certaines conditions, des territoires de l'Adriatique à la mer du Nord. Ce livre étudie, pour la première fois de façon globale, les fondements et les ressorts de l'expérience éphémère des 44 départements réunis.
Après son travail sur le personnel du Premier Empire (Les Impériaux. Administrer et habiter l'Europe de Napoléon, Fayard, 2019), Aurélien Lignereux, professeur à Sciences Po Grenoble, s'intéresse dans ce nouvel ouvrage aux ressorts administratifs et politiques d'une composante du Grand Empire : les 44 départements réunis. En effet, à son apogée en 1812, après les conquêtes napoléoniennes, la France comptait en tout 130 départements et s'étendait ainsi sur près de 750 000 km2, de Rome à Hambourg. Étudiés individuellement, ces départements n'avaient pas jusqu'alors, écrit l'auteur, « bénéficié d'un espace historiographique propre ». C'est désormais chose faite dans un ouvrage qui aurait pu s'intituler « La réunion, moteur de l'Empire ».
Malgré une certaine austérité, cette étude d'une procédure constitutionnelle comme d'un processus politique s'avère passionnante. Une première partie permet de comprendre l'évolution de la notion de réunion, née durant la Révolution, et le progressif détachement des critères qui avaient été établis.
Au départ, la « réunion » d'un État n'était possible qu'à trois conditions : que le territoire réuni s'inscrive dans les frontières naturelles, que la souveraineté du peuple s'exerce librement à cette occasion, enfin que l'affinité des principes et des intérêts soient garantis. Qui se ressemble peut s'assembler...
Assez vite, cependant, le droit des peuples passe au second plan, devant les intérêts de la France. Au fond, chaque réunion de la décennie révolutionnaire est à géométrie variable et provoque plus de conflits au sein des régions réunies que de pacification. A partir du Consulat (1799-1804), la réunion devient la politique du fait accompli devant laquelle les populations doivent s'incliner. Cette entreprise des réunions s'est appuyée sur la géographie et en particulier sur les théories des frontières naturelles mises au service de l'expansionnisme impérial. Et, comme le remarque Aurélien Lignereux, parfois, « les grands travaux publics mettent en accord la géographie et le fait politique » à grand renfort de canaux et de routes. Enfin, l'histoire, pas plus que la géographie, correctement manipulées, ne fournissent d'obstacles à l'expansionnisme. En continuité avec l'Ancien Régime, les réunions de la période révolutionnaire firent tout pour mettre en scène la « volonté » des peuples, la refondation de l'unité française et la naissance de « nouveaux Français » qui ont à la fois renoncé à leur ancienne identité « féodale » et adhéré à l'identité française, conférant lois et droits similaires. Le tout en dépit d'histoires parfois radicalement différentes.
Fardeau impérial ?
Nées dès la Révolution avec leur lot d'ambiguïtés, les réunions sont en définitive le fruit d'une politique de conquête bien plus que d'une idéologie. Pourtant, leur résultat reste puissamment politique : fusion dans la concitoyenneté, assimilation législative et administrative rapide. Autant de pratiques qui délimitent cet « Empire des circonstances », c'est-à-dire un nouvel espace français indifférent aux barrières naturelles ou aux affinités historiques. Dès lors se pose la question du poids économique des réunions : bonne affaire ou fardeau impérial ? Bel et bien perçus au départ comme une modalité d'enrichissement et de poursuite de la guerre, les aspects financiers se compliquèrent : d'abord car les pays réunis sont endettés, parfois lourdement ; ensuite car le double système du Blocus continental et du système continental - anti-anglais - laisse sur le carreau nombre d'économies désormais rattachées à la France comme les économies des anciens États pontificaux ou de l'ancienne république de Gênes.
Plus intéressant encore, la vision qu'a de l'Empire Napoléon, qui attribue à chaque région rattachée une qualité spécifique, une « spécialisation sectorielle » (fournir des matelots génois, des soldats piémontais), seule justification de son rattachement, est lourde de conséquences. L'essentialisation des caractères innés des peuples entraîne la rupture de l'égalité et de l'universalité qui étaient pourtant la promesse du rattachement.
Enfin, l'impératif de sécurité du territoire implique, avec la multiplication des départements réunis, une logique qui engendre une croissance exponentielle des « frontières » - désormais de l'Adriatique à la mer du Nord - à protéger et donc, à terme, leur fragilisation. La mise en place de l'armature impériale, qui permet de « cimenter les réunions » par des instruments bien connus (culte de l'Empereur, éducation, administration, etc.), débouche sur un statut commun de « Français réuni » et a autorisé des circulations accrues dans l'Empire. Qu'un Piémontais fasse sa carrière en France ou en Belgique, voilà qui deviendra courant : on trouve partout, dans la société, les métiers, le commerce, mais aussi dans les instances dirigeantes de Paris, des « nouveaux Français ». Et beaucoup y resteront ou retourneront en France, déçus des Restaurations dans leurs pays. Et ce n'est pas la seule trace permettant d'affirmer que les départements réunis, sont « constitutifs de la formation du pays ».
L'ouvrage d'Aurélien Lignereux comble une lacune « stupéfiante », l'absence de travail global sur les départements réunis dans le Grand Empire. On peut donc désormais connaître les fondements théoriques, la mise en oeuvre pratique et l'ombre portée - sur la France mais aussi sur les autres régions qui furent réunies - de cette entreprise singulière. Un livre important, donc.
Mot clé :
Livres
Catherine Brice est professeure émérite à l'université Paris-Est Créteil
L’Empire de la paix. De la Révolution à Napoléon. Quand la France réunissait l’Europe, Aurélien Lignereux, Passés composés, 2023, 408 p., 23 €.
[article] Guide Livres : Un Empire des circonstances [Livres, articles, périodiques] / Catherine BRICE, Auteur . - 2023 . - p. 78-79.
Langues : Français (fre)
in L'Histoire > N° 506 (Avril 2023) . - p. 78-79
Mots-clés : livre lecture Napoléon fardeau empereur régions Note de contenu :
Après les avoir conquis par la force, la France napoléonienne s'est adjointe, à certaines conditions, des territoires de l'Adriatique à la mer du Nord. Ce livre étudie, pour la première fois de façon globale, les fondements et les ressorts de l'expérience éphémère des 44 départements réunis.
Après son travail sur le personnel du Premier Empire (Les Impériaux. Administrer et habiter l'Europe de Napoléon, Fayard, 2019), Aurélien Lignereux, professeur à Sciences Po Grenoble, s'intéresse dans ce nouvel ouvrage aux ressorts administratifs et politiques d'une composante du Grand Empire : les 44 départements réunis. En effet, à son apogée en 1812, après les conquêtes napoléoniennes, la France comptait en tout 130 départements et s'étendait ainsi sur près de 750 000 km2, de Rome à Hambourg. Étudiés individuellement, ces départements n'avaient pas jusqu'alors, écrit l'auteur, « bénéficié d'un espace historiographique propre ». C'est désormais chose faite dans un ouvrage qui aurait pu s'intituler « La réunion, moteur de l'Empire ».
Malgré une certaine austérité, cette étude d'une procédure constitutionnelle comme d'un processus politique s'avère passionnante. Une première partie permet de comprendre l'évolution de la notion de réunion, née durant la Révolution, et le progressif détachement des critères qui avaient été établis.
Au départ, la « réunion » d'un État n'était possible qu'à trois conditions : que le territoire réuni s'inscrive dans les frontières naturelles, que la souveraineté du peuple s'exerce librement à cette occasion, enfin que l'affinité des principes et des intérêts soient garantis. Qui se ressemble peut s'assembler...
Assez vite, cependant, le droit des peuples passe au second plan, devant les intérêts de la France. Au fond, chaque réunion de la décennie révolutionnaire est à géométrie variable et provoque plus de conflits au sein des régions réunies que de pacification. A partir du Consulat (1799-1804), la réunion devient la politique du fait accompli devant laquelle les populations doivent s'incliner. Cette entreprise des réunions s'est appuyée sur la géographie et en particulier sur les théories des frontières naturelles mises au service de l'expansionnisme impérial. Et, comme le remarque Aurélien Lignereux, parfois, « les grands travaux publics mettent en accord la géographie et le fait politique » à grand renfort de canaux et de routes. Enfin, l'histoire, pas plus que la géographie, correctement manipulées, ne fournissent d'obstacles à l'expansionnisme. En continuité avec l'Ancien Régime, les réunions de la période révolutionnaire firent tout pour mettre en scène la « volonté » des peuples, la refondation de l'unité française et la naissance de « nouveaux Français » qui ont à la fois renoncé à leur ancienne identité « féodale » et adhéré à l'identité française, conférant lois et droits similaires. Le tout en dépit d'histoires parfois radicalement différentes.
Fardeau impérial ?
Nées dès la Révolution avec leur lot d'ambiguïtés, les réunions sont en définitive le fruit d'une politique de conquête bien plus que d'une idéologie. Pourtant, leur résultat reste puissamment politique : fusion dans la concitoyenneté, assimilation législative et administrative rapide. Autant de pratiques qui délimitent cet « Empire des circonstances », c'est-à-dire un nouvel espace français indifférent aux barrières naturelles ou aux affinités historiques. Dès lors se pose la question du poids économique des réunions : bonne affaire ou fardeau impérial ? Bel et bien perçus au départ comme une modalité d'enrichissement et de poursuite de la guerre, les aspects financiers se compliquèrent : d'abord car les pays réunis sont endettés, parfois lourdement ; ensuite car le double système du Blocus continental et du système continental - anti-anglais - laisse sur le carreau nombre d'économies désormais rattachées à la France comme les économies des anciens États pontificaux ou de l'ancienne république de Gênes.
Plus intéressant encore, la vision qu'a de l'Empire Napoléon, qui attribue à chaque région rattachée une qualité spécifique, une « spécialisation sectorielle » (fournir des matelots génois, des soldats piémontais), seule justification de son rattachement, est lourde de conséquences. L'essentialisation des caractères innés des peuples entraîne la rupture de l'égalité et de l'universalité qui étaient pourtant la promesse du rattachement.
Enfin, l'impératif de sécurité du territoire implique, avec la multiplication des départements réunis, une logique qui engendre une croissance exponentielle des « frontières » - désormais de l'Adriatique à la mer du Nord - à protéger et donc, à terme, leur fragilisation. La mise en place de l'armature impériale, qui permet de « cimenter les réunions » par des instruments bien connus (culte de l'Empereur, éducation, administration, etc.), débouche sur un statut commun de « Français réuni » et a autorisé des circulations accrues dans l'Empire. Qu'un Piémontais fasse sa carrière en France ou en Belgique, voilà qui deviendra courant : on trouve partout, dans la société, les métiers, le commerce, mais aussi dans les instances dirigeantes de Paris, des « nouveaux Français ». Et beaucoup y resteront ou retourneront en France, déçus des Restaurations dans leurs pays. Et ce n'est pas la seule trace permettant d'affirmer que les départements réunis, sont « constitutifs de la formation du pays ».
L'ouvrage d'Aurélien Lignereux comble une lacune « stupéfiante », l'absence de travail global sur les départements réunis dans le Grand Empire. On peut donc désormais connaître les fondements théoriques, la mise en oeuvre pratique et l'ombre portée - sur la France mais aussi sur les autres régions qui furent réunies - de cette entreprise singulière. Un livre important, donc.
Mot clé :
Livres
Catherine Brice est professeure émérite à l'université Paris-Est Créteil
L’Empire de la paix. De la Révolution à Napoléon. Quand la France réunissait l’Europe, Aurélien Lignereux, Passés composés, 2023, 408 p., 23 €.
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