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Auteur Antoine De Baecque
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Faire une suggestion Affiner la rechercheLe cinéma, miroir du monde / Antoine De Baecque in Les Grands Dossiers des Sciences Humaines, 52 (Septembre-Octobre-Novembre 2018)
[article]
in Les Grands Dossiers des Sciences Humaines > 52 (Septembre-Octobre-Novembre 2018) . - p. 33-37
Titre : Le cinéma, miroir du monde : un monde saturé d'images Type de document : Livres, articles, périodiques Auteurs : Antoine De Baecque, Auteur Année de publication : 2018 Article en page(s) : p. 33-37 Langues : Français (fre) [article] Le cinéma, miroir du monde : un monde saturé d'images [Livres, articles, périodiques] / Antoine De Baecque, Auteur . - 2018 . - p. 33-37.
Langues : Français (fre)
in Les Grands Dossiers des Sciences Humaines > 52 (Septembre-Octobre-Novembre 2018) . - p. 33-37Les dix morts du cinéma / Antoine De Baecque in L'Histoire, N° 482 (Avril 2021)
[article]
in L'Histoire > N° 482 (Avril 2021) . - 92-93
Titre : Les dix morts du cinéma Type de document : Livres, articles, périodiques Auteurs : Antoine De Baecque, Auteur Année de publication : 2021 Article en page(s) : 92-93 Langues : Français (fre) [article] Les dix morts du cinéma [Livres, articles, périodiques] / Antoine De Baecque, Auteur . - 2021 . - 92-93.
Langues : Français (fre)
in L'Histoire > N° 482 (Avril 2021) . - 92-93Guide Cinéma : Le monde d'Irène / Antoine De Baecque in L'Histoire, N° 492 (Février 2022)
[article]
in L'Histoire > N° 492 (Février 2022) . - p. 96-97
Titre : Guide Cinéma : Le monde d'Irène Type de document : Livres, articles, périodiques Auteurs : Antoine De Baecque, Auteur Année de publication : 2022 Article en page(s) : p. 96-97 Langues : Français (fre) Mots-clés : occupation juif tragédie Paris 1942 cinéma Note de contenu : A Paris en 1942, une jeune fille juive pleine d'insouciance oublie les tragédies de son époque pour vivre les expériences de son âge.
Irène a 19 ans et elle va vite. Elle découvre le monde, le théâtre, vit ses amitiés et ses amours intensément. Elle veut devenir actrice et possède un talent fou à exister. Elle est la jeune fille qui va bien. Son père et sa grand-mère se portent sûrement moins bien, peut-être parce qu'ils ont moins d'élan et de fougue à vivre ; ils sont plus posés. Mais également car, eux, ils vivent dans leur temps. A l'été 1942, quand on est juif à Paris, il faut se déclarer tel à la mairie de son arrondissement. Le père, André, souhaite être dans les règles, il se sent responsable de sa famille et craint de braver les autorités. La grand-mère, Marceline, refuse ; elle a l'intuition d'un piège.
Dans le monde d'Irène, il y a le concours de théâtre à la fin de l'année, quelques regards de jeunes hommes de son âge qui la troublent. Le reste, elle ne veut pas le voir, préfère suivre son cours ou retrouver un amoureux. Mais elle n'est pas pour autant écervelée ; elle sent quelque chose tapi dans l'ombre. Ce n'est tout simplement pas l'essentiel de sa vie. Sa seule manière d'être de son temps, jeune Juive du Paris de l'été 1942, c'est de s'évanouir régulièrement : somme toute, seul son corps somatise l'époque.
Troubles temporels
Le plus réussi dans le premier long métrage de Sandrine Kiberlain est précisément de refuser d'être un « film d'époque ». L'Occupation n'est visible ni dans les costumes ni dans les décors : les coiffures des femmes ne sont pas « typiques », il n'y a pas une seule croix gammée ni le moindre officier allemand. Aucun carton ne vient annoncer : « Paris, 1942. »
Au début, on se demande même avec étonnement : « C'est un film sur quoi ? » Sur l'apprentissage d'une jeune actrice, sur l'amitié avec les copines du cours de théâtre, sur une famille sans mère, sur les relations entre Irène et son plus jeune frère, Igor. La piste autobiographique semble s'imposer ; Sandrine Kiberlain filme sa propre initiation, le moment de ses 19 ans, alors qu'elle passe le concours du Conservatoire et qu'elle débute dans le métier : « Ce que j'ai le plus aimé dans ma vie », avoue-t-elle.
Et puis, soudain, au détour d'une phrase lors d'une banale conversation familiale à table : « Il faut mettre le tampon juif sur les papiers. » Pas la peine d'en rajouter avec un drapeau, une étoile ou un uniforme.
Le film ose même quelques troubles temporels ouvertement anachroniques : Tom Waits chante All the World is Green, Philip Glass fait entendre ses « String Quartet », même si Charles Trenet pousse le « Que reste-t-il de nos amours ? » exact de 1942. L'atmosphère d'une époque et la tessiture de l'histoire, on les remarque ailleurs, dans un écart toujours bienvenu : une scène de dîner de shabbat où chacun s'approprie les rituels différemment, la bougie, le miel, la pomme ; la lecture par deux vieilles femmes de la définition d'un mot - « peur » - dans le dictionnaire ; une façon de cacher ses papiers au fond d'un placard ; une fille qui ne vous regarde plus ; un homme qui vous regarde trop. Tous souhaitent vivre normalement, alors qu'ils ne peuvent plus le faire ; ils ne veulent pas croire au pire mais ils ne peuvent plus faire autrement qu'y croire.
Histoire « en creux »
Sandrine Kiberlain a eu la force et la personnalité d'imposer son point de vue, celui de cette « histoire en creux », qui ne reconstitue rien, contre tous les producteurs qui ont dû lui suggérer une « petite scène typique » par-ci, par-là, contre tous les historiens qui s'étonneront devant ce film où ils ne retrouveront pas leurs thèses. Elle a eu raison - c'est sans doute pour cela qu'elle est désormais cinéaste. Car quand l'histoire, soudain, claque sa porte au nez des rêves d'Irène, cela fait bien plus mal. Alors, avec une étonnante insouciance et une puissante sororité, Hélène Berr et Anne Frank prennent la main de cette jeune fille qui allait bien.
[article] Guide Cinéma : Le monde d'Irène [Livres, articles, périodiques] / Antoine De Baecque, Auteur . - 2022 . - p. 96-97.
Langues : Français (fre)
in L'Histoire > N° 492 (Février 2022) . - p. 96-97
Mots-clés : occupation juif tragédie Paris 1942 cinéma Note de contenu : A Paris en 1942, une jeune fille juive pleine d'insouciance oublie les tragédies de son époque pour vivre les expériences de son âge.
Irène a 19 ans et elle va vite. Elle découvre le monde, le théâtre, vit ses amitiés et ses amours intensément. Elle veut devenir actrice et possède un talent fou à exister. Elle est la jeune fille qui va bien. Son père et sa grand-mère se portent sûrement moins bien, peut-être parce qu'ils ont moins d'élan et de fougue à vivre ; ils sont plus posés. Mais également car, eux, ils vivent dans leur temps. A l'été 1942, quand on est juif à Paris, il faut se déclarer tel à la mairie de son arrondissement. Le père, André, souhaite être dans les règles, il se sent responsable de sa famille et craint de braver les autorités. La grand-mère, Marceline, refuse ; elle a l'intuition d'un piège.
Dans le monde d'Irène, il y a le concours de théâtre à la fin de l'année, quelques regards de jeunes hommes de son âge qui la troublent. Le reste, elle ne veut pas le voir, préfère suivre son cours ou retrouver un amoureux. Mais elle n'est pas pour autant écervelée ; elle sent quelque chose tapi dans l'ombre. Ce n'est tout simplement pas l'essentiel de sa vie. Sa seule manière d'être de son temps, jeune Juive du Paris de l'été 1942, c'est de s'évanouir régulièrement : somme toute, seul son corps somatise l'époque.
Troubles temporels
Le plus réussi dans le premier long métrage de Sandrine Kiberlain est précisément de refuser d'être un « film d'époque ». L'Occupation n'est visible ni dans les costumes ni dans les décors : les coiffures des femmes ne sont pas « typiques », il n'y a pas une seule croix gammée ni le moindre officier allemand. Aucun carton ne vient annoncer : « Paris, 1942. »
Au début, on se demande même avec étonnement : « C'est un film sur quoi ? » Sur l'apprentissage d'une jeune actrice, sur l'amitié avec les copines du cours de théâtre, sur une famille sans mère, sur les relations entre Irène et son plus jeune frère, Igor. La piste autobiographique semble s'imposer ; Sandrine Kiberlain filme sa propre initiation, le moment de ses 19 ans, alors qu'elle passe le concours du Conservatoire et qu'elle débute dans le métier : « Ce que j'ai le plus aimé dans ma vie », avoue-t-elle.
Et puis, soudain, au détour d'une phrase lors d'une banale conversation familiale à table : « Il faut mettre le tampon juif sur les papiers. » Pas la peine d'en rajouter avec un drapeau, une étoile ou un uniforme.
Le film ose même quelques troubles temporels ouvertement anachroniques : Tom Waits chante All the World is Green, Philip Glass fait entendre ses « String Quartet », même si Charles Trenet pousse le « Que reste-t-il de nos amours ? » exact de 1942. L'atmosphère d'une époque et la tessiture de l'histoire, on les remarque ailleurs, dans un écart toujours bienvenu : une scène de dîner de shabbat où chacun s'approprie les rituels différemment, la bougie, le miel, la pomme ; la lecture par deux vieilles femmes de la définition d'un mot - « peur » - dans le dictionnaire ; une façon de cacher ses papiers au fond d'un placard ; une fille qui ne vous regarde plus ; un homme qui vous regarde trop. Tous souhaitent vivre normalement, alors qu'ils ne peuvent plus le faire ; ils ne veulent pas croire au pire mais ils ne peuvent plus faire autrement qu'y croire.
Histoire « en creux »
Sandrine Kiberlain a eu la force et la personnalité d'imposer son point de vue, celui de cette « histoire en creux », qui ne reconstitue rien, contre tous les producteurs qui ont dû lui suggérer une « petite scène typique » par-ci, par-là, contre tous les historiens qui s'étonneront devant ce film où ils ne retrouveront pas leurs thèses. Elle a eu raison - c'est sans doute pour cela qu'elle est désormais cinéaste. Car quand l'histoire, soudain, claque sa porte au nez des rêves d'Irène, cela fait bien plus mal. Alors, avec une étonnante insouciance et une puissante sororité, Hélène Berr et Anne Frank prennent la main de cette jeune fille qui allait bien.
Guide Cinéma : Piéger les "homos" / Antoine De Baecque in L'Histoire, N° 492 (Février 2022)
[article]
in L'Histoire > N° 492 (Février 2022) . - p. 97
Titre : Guide Cinéma : Piéger les "homos" Type de document : Livres, articles, périodiques Auteurs : Antoine De Baecque, Auteur Année de publication : 2022 Article en page(s) : p. 97 Langues : Français (fre) Mots-clés : homos piège RFA loi 1872 175er prison cinéma Note de contenu : La criminalisation de l'homosexualité en RFA.
Surpris par une caméra piège cachée dans un urinoir, Hans Hoffman, homosexuel, est condamné lors d'un procès rapide et emprisonné au nom du paragraphe 175 du code pénal allemand. Nous sommes au début des années 1960, et ce « Paragraphe 175 », décrété en 1872, criminalise l'homosexualité comme « maladie mentale » et « pratique déviante ». Il autorisait également la police à confisquer les lettres privées et à installer des caméras dans certaines toilettes publiques derrière des miroirs sans tain afin de produire des preuves formelles au tribunal. En vigueur jusqu'en 1969, il ne disparaît complètement du code civil allemand qu'en 1994. Au total, 100 000 hommes, les « 175er », ont été traduits en justice dans la République fédérale d'Allemagne (RFA) d'après-guerre. Beaucoup furent emprisonnés.
Entêtement héroïque
Le plus choquant est la continuité des textes juridiques et des pratiques policières entre le régime nazi et la démocratie de la RFA. Certains des 15 000 prisonniers au triangle rose, les « Rosa Winkel », ont d'ailleurs été directement transférés des camps de concentration aux prisons fédérales pour finir de purger leur peine légale.
En 2005, Rob Epstein et Jeffrey Friedman obtenaient l'Ours d'or du meilleur documentaire à la Berlinale pour Paragraph 175, rappelant, documents à l'appui, ce passé récent peu glorieux d'une démocratie conservatrice dont la pudibonderie moralisatrice était érigée en valeur fondatrice du régime. Le film de Sebastian Meise a l'intérêt d'incarner cette traque dont « on ne parle pas » en une fiction juste et sensible, mais impitoyable, dans laquelle Hans Hoffman, joué tout en passion retenue par Franz Rogowski, continue à chercher l'amour en milieu hostile.
Great Freedom est un film de prison, austère et simple, au pathétique contenu, où le personnage central exerce sa volonté impérieuse à être « normal » et à vivre comme il l'entend malgré tous les obstacles qui se dressent devant lui. Cet entêtement est la marque de son héroïsme, quotidien et concentrationnaire. C'est cela qui, in fine, lui permet de vivre et de survivre en homosexuel.
[article] Guide Cinéma : Piéger les "homos" [Livres, articles, périodiques] / Antoine De Baecque, Auteur . - 2022 . - p. 97.
Langues : Français (fre)
in L'Histoire > N° 492 (Février 2022) . - p. 97
Mots-clés : homos piège RFA loi 1872 175er prison cinéma Note de contenu : La criminalisation de l'homosexualité en RFA.
Surpris par une caméra piège cachée dans un urinoir, Hans Hoffman, homosexuel, est condamné lors d'un procès rapide et emprisonné au nom du paragraphe 175 du code pénal allemand. Nous sommes au début des années 1960, et ce « Paragraphe 175 », décrété en 1872, criminalise l'homosexualité comme « maladie mentale » et « pratique déviante ». Il autorisait également la police à confisquer les lettres privées et à installer des caméras dans certaines toilettes publiques derrière des miroirs sans tain afin de produire des preuves formelles au tribunal. En vigueur jusqu'en 1969, il ne disparaît complètement du code civil allemand qu'en 1994. Au total, 100 000 hommes, les « 175er », ont été traduits en justice dans la République fédérale d'Allemagne (RFA) d'après-guerre. Beaucoup furent emprisonnés.
Entêtement héroïque
Le plus choquant est la continuité des textes juridiques et des pratiques policières entre le régime nazi et la démocratie de la RFA. Certains des 15 000 prisonniers au triangle rose, les « Rosa Winkel », ont d'ailleurs été directement transférés des camps de concentration aux prisons fédérales pour finir de purger leur peine légale.
En 2005, Rob Epstein et Jeffrey Friedman obtenaient l'Ours d'or du meilleur documentaire à la Berlinale pour Paragraph 175, rappelant, documents à l'appui, ce passé récent peu glorieux d'une démocratie conservatrice dont la pudibonderie moralisatrice était érigée en valeur fondatrice du régime. Le film de Sebastian Meise a l'intérêt d'incarner cette traque dont « on ne parle pas » en une fiction juste et sensible, mais impitoyable, dans laquelle Hans Hoffman, joué tout en passion retenue par Franz Rogowski, continue à chercher l'amour en milieu hostile.
Great Freedom est un film de prison, austère et simple, au pathétique contenu, où le personnage central exerce sa volonté impérieuse à être « normal » et à vivre comme il l'entend malgré tous les obstacles qui se dressent devant lui. Cet entêtement est la marque de son héroïsme, quotidien et concentrationnaire. C'est cela qui, in fine, lui permet de vivre et de survivre en homosexuel.
Guide Cinéma : Un prof à l'usine / Antoine De Baecque in L'Histoire, N° 506 (Avril 2023)
[article]
in L'Histoire > N° 506 (Avril 2023) . - p. 94-95
Titre : Guide Cinéma : Un prof à l'usine Type de document : Livres, articles, périodiques Auteurs : Antoine De Baecque, Auteur Année de publication : 2023 Article en page(s) : p. 94-95 Langues : Français (fre) Mots-clés : sorties cinéma usine Citroën ouvrier travail à la chaine grève Note de contenu : Mathias Gokalp adapte L'Établi, le récit de Robert Linhart sur son expérience à la chaîne de montage Citroën.
En septembre 1968, Robert Linhart, jeune normalien philosophe, renonce à un poste universitaire pour s'« établir » comme ouvrier spécialisé (OS) dans l'usine Citroën de la porte d'Ivry à Paris. « Ulmard » de la génération des années 1960, militant d'extrême gauche, fondateur en décembre 1966 de l'Union des jeunesses marxistes-léninistes, il a « raté » Mai 68 - il est en cure de sommeil après une dépression. Pour préparer clandestinement la révolution à venir, il choisit de s'embaucher en usine afin de comprendre de l'intérieur le travail à la chaîne, la vie ouvrière, le militantisme de base. En France, tant en usine qu'à la campagne, les établis sont alors deux à trois milliers d'étudiants et d'intellectuels, majoritairement issus des classes bourgeoises.
Montrer les gestes mécaniques
Le film de Mathias Gokalp adapte le récit que Robert Linhart a tiré de cette expérience : L'Établi, publié en 1978 aux éditions de Minuit. C'est d'abord une description précise, douloureuse, impitoyable du travail à la chaîne et de ses effets d'humiliation et d'aliénation des corps et des consciences. Mais aussi des dérives autoritaires et racistes des « petits chefs » et d'une large partie de l'encadrement. Enfin, le récit s'accroche à une possible revendication sociale lorsque la direction de Citroën décide de se rembourser des accords de Grenelle en exigeant des ouvriers qu'ils travaillent trois heures supplémentaires par semaine à titre gracieux. Un an après Mai 68, Robert Linhart espère que la mobilisation va monter, y contribue à la base, mais prend finalement conscience que la majorité des ouvriers ne veut plus entendre parler de politique. Le constat d'échec est terrible, replongeant l'homme dans la solitude de la dépression. La machine à produire capitaliste a été plus forte que lui.
La force du film tient d'abord dans la minutieuse reconstitution d'une chaîne de fabrication de 2CV, voiture iconique de notre imaginaire collectif. Trois postes ont été littéralement « recréés » dans les conditions de travail de l'époque : la chaîne de montage des voitures, la fabrication des balancelles et celle des sièges, là où, précisément, Robert Linhart a été employé. Tout a été recentré sur ces trois lieux. Cela permet de montrer les gestes, les machines, les rythmes, les costumes, les attitudes au travail, donc la douleur, les blessures, l'usure du corps, liées à la répétition sur le temps long de la chaîne. Par les moyens du cinéma, tout spectateur peut entrer dans l'intériorité de l'ouvrier, ce qu'il ressent comme ce qu'il endure. On comprend également pourquoi, pour ces militants politiques, la production automobile était une clé de la société de consommation, donc un objectif stratégique, comment ils ont été fascinés par cet univers.
Transformer l'usine de l'intérieur
Ensuite, le film restitue très justement l'enjeu narratif du récit de Robert Linhart, cette situation de fiction propre au texte : un personnage qui entre à l'usine sans dire qui il est, déplacé dans un monde qui n'est pas le sien, mais pourvu de l'idée fixe d'y survivre pour le transformer de l'intérieur avec l'aide de ceux mêmes qu'il y rencontre. La caméra parvient à faire vivre ces hommes et femmes qui gravitent autour de Robert, tant à l'usine - ouvriers, ouvrières, immigrés, contremaîtres, cadres - que dans son existence privée : sa femme et ses enfants. Quand les ouvriers apprennent que Robert Linhart est en réalité professeur, qu'il a une autre vie, certains comprennent sa démarche, d'autres la rejettent violemment car ils se sentent trahis, pensant « Si Robert est licencié, il retrouvera son emploi de prof, pas nous ! » Ou alors : « Il est en visite chez nous, il est différent, il cherche à nous manipuler... » Cela pose à Robert Linhart la question de la légitimité de son action : « Ai-je le droit de prendre la parole pour eux ? » Puis : « Qu'est-ce que ça va leur coûter notre grève ? » Robert est un militant : il emmène les autres derrière lui, y compris vers l'échec ; c'est de cette contradiction qu'il souffre et se sent coupable.
L'Établi échappe ainsi au romantisme révolutionnaire, fuit les mots d'ordre, les manifs enthousiastes qui font se lever les rêves de grand soir, comme les T-shirts Che Guevara. Au contraire, il montre que l'engagement a un prix, que la lutte politique se paie cher, comme l'ont ressenti bon nombre de militants de Mai 68 et de l'après-Mai. Ils ont cependant vécu une chose rare, que le film souligne avec une émotion puissante, ce moment où les classes sociales se sont, malgré tout, un peu plus mélangées en France avec l'espoir d'un autre monde possible.
L'Établi, Mathias Gokalp, en salle le 5 avril 2023.
[article] Guide Cinéma : Un prof à l'usine [Livres, articles, périodiques] / Antoine De Baecque, Auteur . - 2023 . - p. 94-95.
Langues : Français (fre)
in L'Histoire > N° 506 (Avril 2023) . - p. 94-95
Mots-clés : sorties cinéma usine Citroën ouvrier travail à la chaine grève Note de contenu : Mathias Gokalp adapte L'Établi, le récit de Robert Linhart sur son expérience à la chaîne de montage Citroën.
En septembre 1968, Robert Linhart, jeune normalien philosophe, renonce à un poste universitaire pour s'« établir » comme ouvrier spécialisé (OS) dans l'usine Citroën de la porte d'Ivry à Paris. « Ulmard » de la génération des années 1960, militant d'extrême gauche, fondateur en décembre 1966 de l'Union des jeunesses marxistes-léninistes, il a « raté » Mai 68 - il est en cure de sommeil après une dépression. Pour préparer clandestinement la révolution à venir, il choisit de s'embaucher en usine afin de comprendre de l'intérieur le travail à la chaîne, la vie ouvrière, le militantisme de base. En France, tant en usine qu'à la campagne, les établis sont alors deux à trois milliers d'étudiants et d'intellectuels, majoritairement issus des classes bourgeoises.
Montrer les gestes mécaniques
Le film de Mathias Gokalp adapte le récit que Robert Linhart a tiré de cette expérience : L'Établi, publié en 1978 aux éditions de Minuit. C'est d'abord une description précise, douloureuse, impitoyable du travail à la chaîne et de ses effets d'humiliation et d'aliénation des corps et des consciences. Mais aussi des dérives autoritaires et racistes des « petits chefs » et d'une large partie de l'encadrement. Enfin, le récit s'accroche à une possible revendication sociale lorsque la direction de Citroën décide de se rembourser des accords de Grenelle en exigeant des ouvriers qu'ils travaillent trois heures supplémentaires par semaine à titre gracieux. Un an après Mai 68, Robert Linhart espère que la mobilisation va monter, y contribue à la base, mais prend finalement conscience que la majorité des ouvriers ne veut plus entendre parler de politique. Le constat d'échec est terrible, replongeant l'homme dans la solitude de la dépression. La machine à produire capitaliste a été plus forte que lui.
La force du film tient d'abord dans la minutieuse reconstitution d'une chaîne de fabrication de 2CV, voiture iconique de notre imaginaire collectif. Trois postes ont été littéralement « recréés » dans les conditions de travail de l'époque : la chaîne de montage des voitures, la fabrication des balancelles et celle des sièges, là où, précisément, Robert Linhart a été employé. Tout a été recentré sur ces trois lieux. Cela permet de montrer les gestes, les machines, les rythmes, les costumes, les attitudes au travail, donc la douleur, les blessures, l'usure du corps, liées à la répétition sur le temps long de la chaîne. Par les moyens du cinéma, tout spectateur peut entrer dans l'intériorité de l'ouvrier, ce qu'il ressent comme ce qu'il endure. On comprend également pourquoi, pour ces militants politiques, la production automobile était une clé de la société de consommation, donc un objectif stratégique, comment ils ont été fascinés par cet univers.
Transformer l'usine de l'intérieur
Ensuite, le film restitue très justement l'enjeu narratif du récit de Robert Linhart, cette situation de fiction propre au texte : un personnage qui entre à l'usine sans dire qui il est, déplacé dans un monde qui n'est pas le sien, mais pourvu de l'idée fixe d'y survivre pour le transformer de l'intérieur avec l'aide de ceux mêmes qu'il y rencontre. La caméra parvient à faire vivre ces hommes et femmes qui gravitent autour de Robert, tant à l'usine - ouvriers, ouvrières, immigrés, contremaîtres, cadres - que dans son existence privée : sa femme et ses enfants. Quand les ouvriers apprennent que Robert Linhart est en réalité professeur, qu'il a une autre vie, certains comprennent sa démarche, d'autres la rejettent violemment car ils se sentent trahis, pensant « Si Robert est licencié, il retrouvera son emploi de prof, pas nous ! » Ou alors : « Il est en visite chez nous, il est différent, il cherche à nous manipuler... » Cela pose à Robert Linhart la question de la légitimité de son action : « Ai-je le droit de prendre la parole pour eux ? » Puis : « Qu'est-ce que ça va leur coûter notre grève ? » Robert est un militant : il emmène les autres derrière lui, y compris vers l'échec ; c'est de cette contradiction qu'il souffre et se sent coupable.
L'Établi échappe ainsi au romantisme révolutionnaire, fuit les mots d'ordre, les manifs enthousiastes qui font se lever les rêves de grand soir, comme les T-shirts Che Guevara. Au contraire, il montre que l'engagement a un prix, que la lutte politique se paie cher, comme l'ont ressenti bon nombre de militants de Mai 68 et de l'après-Mai. Ils ont cependant vécu une chose rare, que le film souligne avec une émotion puissante, ce moment où les classes sociales se sont, malgré tout, un peu plus mélangées en France avec l'espoir d'un autre monde possible.
L'Établi, Mathias Gokalp, en salle le 5 avril 2023.
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