[article] in L'Histoire > N° 492 (Février 2022) . - p. 91 Titre : | Guide des Classiques : Essais d'iconologie d'Erwin Panofsky | Type de document : | Livres, articles, périodiques | Auteurs : | Jean Wirth, Auteur | Année de publication : | 2022 | Article en page(s) : | p. 91 | Langues : | Français (fre) | Mots-clés : | iconologie Erwin Panofsky historien images | Note de contenu : | Historien de l'art aux très larges centres d'intérêt, Erwin Panofsky a écrit en 1939 des pages fondamentales sur la lecture des images.
LA THÈSE
L'ouvrage s'ouvre sur une introduction théorique analysant les étapes d'une bonne compréhension du contenu d'une image, de son iconographie par opposition à sa forme. Elle est suivie de cinq essais consacrés à l'art italien de le Renaissance et illustrant la méthode. Quels que soient la richesse et l'intérêt de ces derniers, l'explicitation rigoureuse de la démarche iconographique dans l'introduction est le grand titre de gloire de ce livre.
Erwin Panofsky divise la lecture iconographique de l'image en trois niveaux. Le premier, qu'il appelle la signification primaire ou naturelle, est ce que voit dans une image un spectateur qui ne connaît pas le système symbolique : par exemple une jeune femme assise tenant dans ses bras le cadavre d'un homme barbu, elle portant un disque derrière la tête, lui un disque de même, mais décoré d'une croix. Une personne cultivée accèdera au niveau conventionnel, comprendra qu'il s'agit de la Vierge se lamentant sur son fils mort - bref, d'une pietà. Mais la signification intrinsèque, le contenu, constitue un troisième niveau. Dans le cas qui nous occupe, le thème est une pure invention iconographique, sans texte correspondant. Il se comprend comme une sorte de pendant tragique à la Vierge à l'Enfant. Marie semble plus jeune que son fils, ce qui peut paraître aberrant ou même empêcher de reconnaître les personnages. Mais la Vierge, symbole de l'Église, est pensée comme incorruptible, d'une éternelle beauté, tandis que le Christ s'est fait homme et a totalement assumé la souffrance, l'âge et la mort. Et c'est en comprenant ce genre de choses qu'on accède au sens de l'image, tout en découvrant l'univers religieux de la fin du Moyen Age.
Dans l'exemple de la pietà, l'erreur de lecture qu'on pourrait faire au premier niveau se corrige par le recours au troisième. L'oeuvre formant une totalité, chaque niveau permet de contrôler l'autre et la connaissance du style constitue un correctif supplémentaire.
CE QU'IL EN RESTE
La simplicité du schéma panofskien peut faire oublier le souci sémiologique dont il émane. Il a été parfois critiqué, mais jamais concurrencé et encore moins remplacé. Il ne faut pas se tromper sur son sens : la succession des niveaux n'est ni l'ordre heuristique ni l'ordre d'exposition d'une analyse iconographique.
Un point doit enfin être signalé : dans l'édition française de 1967, l'expression basic attitude, qui désigne chez lui l'ensemble de références et de pratiques culturelles partagées constituant le troisième niveau, est traduite de façon douteuse par « mentalité ». Certes, Erwin Panofsky utilise lui-même une expression vague. Mais il trouvera plus tard un terme mieux approprié chez les scolastiques : l'habitus, désignant une manière d'être et de faire, liée à un groupe social, que Pierre Bourdieu lui empruntera à son tour.
* Professeur honoraire d'histoire de l'art médiéval à l'Université de Genève
Erwin Panofsky
Erwin Panofsky (1892-1968) est un historien allemand d'origine juive. Admirateur d'Aby Warburg, il entre dans son institut à Hambourg, comme Ernst Cassirer et Fritz Saxl. Il possède à la fois un grand intérêt pour l'histoire du style, comme en témoignent ses recherches sur la sculpture gothique allemande, le goût des problèmes théoriques (Idea et La Perspective comme forme symbolique en 1924), et une ouverture à l'histoire des civilisations et de la pensée dans tous ses aspects. Il émigre en 1933 aux États-Unis, où il enseigne à New York puis à Princeton. Cette période est caractérisée par d'importants travaux iconographiques dont les Essais d'iconologie, sans que les autres axes d'investigation soient négligés. Sa reconnaissance en France est rare avant l'engouement des années 1960, dû à un nouvel intérêt pour les questions iconographiques.
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[article] Guide des Classiques : Essais d'iconologie d'Erwin Panofsky [Livres, articles, périodiques] / Jean Wirth, Auteur . - 2022 . - p. 91. Langues : Français ( fre) in L'Histoire > N° 492 (Février 2022) . - p. 91 Mots-clés : | iconologie Erwin Panofsky historien images | Note de contenu : | Historien de l'art aux très larges centres d'intérêt, Erwin Panofsky a écrit en 1939 des pages fondamentales sur la lecture des images.
LA THÈSE
L'ouvrage s'ouvre sur une introduction théorique analysant les étapes d'une bonne compréhension du contenu d'une image, de son iconographie par opposition à sa forme. Elle est suivie de cinq essais consacrés à l'art italien de le Renaissance et illustrant la méthode. Quels que soient la richesse et l'intérêt de ces derniers, l'explicitation rigoureuse de la démarche iconographique dans l'introduction est le grand titre de gloire de ce livre.
Erwin Panofsky divise la lecture iconographique de l'image en trois niveaux. Le premier, qu'il appelle la signification primaire ou naturelle, est ce que voit dans une image un spectateur qui ne connaît pas le système symbolique : par exemple une jeune femme assise tenant dans ses bras le cadavre d'un homme barbu, elle portant un disque derrière la tête, lui un disque de même, mais décoré d'une croix. Une personne cultivée accèdera au niveau conventionnel, comprendra qu'il s'agit de la Vierge se lamentant sur son fils mort - bref, d'une pietà. Mais la signification intrinsèque, le contenu, constitue un troisième niveau. Dans le cas qui nous occupe, le thème est une pure invention iconographique, sans texte correspondant. Il se comprend comme une sorte de pendant tragique à la Vierge à l'Enfant. Marie semble plus jeune que son fils, ce qui peut paraître aberrant ou même empêcher de reconnaître les personnages. Mais la Vierge, symbole de l'Église, est pensée comme incorruptible, d'une éternelle beauté, tandis que le Christ s'est fait homme et a totalement assumé la souffrance, l'âge et la mort. Et c'est en comprenant ce genre de choses qu'on accède au sens de l'image, tout en découvrant l'univers religieux de la fin du Moyen Age.
Dans l'exemple de la pietà, l'erreur de lecture qu'on pourrait faire au premier niveau se corrige par le recours au troisième. L'oeuvre formant une totalité, chaque niveau permet de contrôler l'autre et la connaissance du style constitue un correctif supplémentaire.
CE QU'IL EN RESTE
La simplicité du schéma panofskien peut faire oublier le souci sémiologique dont il émane. Il a été parfois critiqué, mais jamais concurrencé et encore moins remplacé. Il ne faut pas se tromper sur son sens : la succession des niveaux n'est ni l'ordre heuristique ni l'ordre d'exposition d'une analyse iconographique.
Un point doit enfin être signalé : dans l'édition française de 1967, l'expression basic attitude, qui désigne chez lui l'ensemble de références et de pratiques culturelles partagées constituant le troisième niveau, est traduite de façon douteuse par « mentalité ». Certes, Erwin Panofsky utilise lui-même une expression vague. Mais il trouvera plus tard un terme mieux approprié chez les scolastiques : l'habitus, désignant une manière d'être et de faire, liée à un groupe social, que Pierre Bourdieu lui empruntera à son tour.
* Professeur honoraire d'histoire de l'art médiéval à l'Université de Genève
Erwin Panofsky
Erwin Panofsky (1892-1968) est un historien allemand d'origine juive. Admirateur d'Aby Warburg, il entre dans son institut à Hambourg, comme Ernst Cassirer et Fritz Saxl. Il possède à la fois un grand intérêt pour l'histoire du style, comme en témoignent ses recherches sur la sculpture gothique allemande, le goût des problèmes théoriques (Idea et La Perspective comme forme symbolique en 1924), et une ouverture à l'histoire des civilisations et de la pensée dans tous ses aspects. Il émigre en 1933 aux États-Unis, où il enseigne à New York puis à Princeton. Cette période est caractérisée par d'importants travaux iconographiques dont les Essais d'iconologie, sans que les autres axes d'investigation soient négligés. Sa reconnaissance en France est rare avant l'engouement des années 1960, dû à un nouvel intérêt pour les questions iconographiques.
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