[article] in L'Histoire > N° 487 (septembre 2021) . - p. 36-40 Titre : | Dossier : Les Etats-Unis et le monde - Afghanistan : l'enlisement | Type de document : | Livres, articles, périodiques | Auteurs : | Romain Malejacq, Auteur | Année de publication : | 2021 | Article en page(s) : | p. 36-40 | Langues : | Français (fre) | Mots-clés : | Etats-Unis Afghanistan enlisement après attentats lutte | Note de contenu : | C'est le plus long conflit mené par les États-Unis. En 2001, pourtant, l'objectif semblait clair.
Le président américain George W. Bush prononça, le soir du 11 septembre 2001, un discours qui allait façonner de manière profonde la politique étrangère américaine. Ces attentats sont des « actes de guerre » déclara-t-il alors, et « nous ne ferons aucune distinction entre les terroristes qui ont commis ces actes [Al-Qaida], et ceux qui les abritent [les talibans] ». Le pays aux mains des talibans (avec à leur tête le mollah Omar, photo) depuis 1996 abritait les bases de l'association terroriste et Oussama ben Laden. L'idée était donc apparemment simple : éradiquer Al-Qaida, mais aussi renverser les talibans, imposer un nouvel ordre politique en adéquation avec les intérêts américains, le tout en engageant le minimum de soldats américains sur le sol afghan.
George W. Bush avait affiché ses convictions l'année précédente, lors de la campagne présidentielle : les soldats américains, avait-il expliqué, n'ont pas vocation à reconstruire les États et les sociétés, mais bien à faire la guerre, y compris contre les régimes dictatoriaux ennemis des États-Unis. Cette idée fut bientôt érigée en doctrine, celle du regime change.
Premiers succès militaires
Mais ce double amalgame, entre guerre et terrorisme d'une part, entre Al-Qaida et talibans d'autre part, explique toute l'ambiguïté et l'exceptionnalité de l'intervention américaine en Afghanistan : les États-Unis ont répondu à des attaques terroristes fomentées par une organisation non étatique en envahissant un État souverain (bien que le régime taliban ne soit alors reconnu que par une poignée d'États). Cet amalgame explique vingt années de tâtonnements et d'hésitations sur la stratégie à mener en Afghanistan, entre « guerre contre le terrorisme » et contre-insurrection.
Quinze jours seulement après l'effondrement des Twin Towers, des agents de la CIA furent héliportés sur le territoire afghan. Leur rôle était d'entrer en contact avec les principaux commandants de l'Alliance du Nord (les forces afghanes qui résistaient aux talibans dans le nord-est du pays) et de leur fournir les ressources financières et militaires nécessaires à la reconquête du pays. En octobre, des commandos de forces spéciales furent envoyés à leur tour afin de coordonner les combats au sol et le bombardement des positions talibanes par l'aviation américaine.
Le succès militaire fut fulgurant. L'Alliance du Nord reprit Kaboul à la mi-novembre. Les conséquences de cette stratégie, en revanche, furent désastreuses. Les principaux commandants de l'Alliance du Nord, dont la légitimité et les capacités militaires avaient été renforcées par les Américains, s'emparèrent d'un maximum de ressources, à commencer par les terres les plus fertiles et les administrations publiques. Une conférence fut alors organisée à Bonn, en Allemagne, en novembre-décembre 2001, afin d'établir les grandes lignes de la mise en place du nouveau régime et nommer un gouvernement intérimaire dirigé par Hamid Karzaï. Une nouvelle Constitution fut adoptée en 2004, une élection présidentielle fut organisée la même année, suivie, en 2005, d'élections législatives. Les États-Unis, soucieux de maintenir une « empreinte légère » en Afghanistan, ne cessaient pourtant de soutenir (et d'enrichir) leurs alliés de 2001, en échange d'un certain nombre de services (approvisionnement en matières premières, renseignement, etc.).
Au sein de la communauté internationale, l'optimisme restait alors de mise : le pays avait été libéré du joug des talibans, la démocratie à l'occidentale avait débarqué en Afghanistan, et l'organisation responsable des attentats du 11 Septembre était aux abois. Une majorité des militants d'Al-Qaida avaient été chassés, incarcérés ou éliminés dès les semaines et les mois qui suivirent les attentats de New York et Washington.
La situation était pourtant critique : le régime était corrompu ; les bienfaits de la démocratie se faisaient attendre ; les commandants de l'Alliance du Nord dirigeaient leurs fiefs de manière autoritaire ; et les populations pachtounes du sud et de l'est de l'Afghanistan se sentaient marginalisées. La présence militaire étrangère était par ailleurs très mal acceptée du fait de la multiplication des victimes collatérales et du peu de respect des soldats de la Coalition envers les coutumes locales.
Corruption massive
Les talibans, qui s'étaient entre-temps réorganisés au Pakistan, profitèrent de ce contexte pour lancer une insurrection armée à partir des années 2004-2005. Pour vaincre les talibans et gagner la « guerre contre le terrorisme », les Américains et leurs alliés s'engagèrent alors à construire un État qui soit en mesure de répondre aux attentes de la population. Avec les résultats que nous connaissons aujourd'hui : une corruption massive et généralisée, des élites politiques et militaires qui agissent en dehors de tout contrôle étatique, et un régime en proie à l'implosion.
Quant à Ben Laden, il fut abattu non pas sur le territoire afghan, mais au Pakistan, dans la nuit du 1er au 2 mai 2011, dix ans après les attentats. Une autre décennie s'écoula avant que Joe Biden, fraîchement élu à la présidence des États-Unis, décide le retrait total des troupes américaines d'Afghanistan.
En vingt ans, les États-Unis ont envoyé 775 000 soldats en Afghanistan, dépensé près de 900 milliards de dollars et perdu près de 2 500 hommes, sans pour autant parvenir à vaincre les talibans ni à installer un régime politique stable. Ce conflit représente l'échec criant de la doctrine du regime change et de l'idée qu'une puissance étrangère, aussi puissante soit-elle, a la capacité de façonner une société par le biais d'une intervention militaire.
Romain Malejacq est professeur assistant au département de science politique (Cicam) de l'université Radboud de Nimègue, aux Pays-Bas.
Vingt ans de lutte contre les talibans
Les premiers soldats américains posent le pied en Afghanistan en octobre 2001. Ils apportent leur soutien à l'Alliance du Nord contre le régime des talibans. Kaboul est prise dès novembre. Mais le régime afghan, affaibli par la corruption encouragée par les aides internationales, voit la menace talibane vite ressurgir. La guérilla reprend jusqu'à motiver l'envoi de troupes supplémentaires par Obama en 2009.
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[article] Dossier : Les Etats-Unis et le monde - Afghanistan : l'enlisement [Livres, articles, périodiques] / Romain Malejacq, Auteur . - 2021 . - p. 36-40. Langues : Français ( fre) in L'Histoire > N° 487 (septembre 2021) . - p. 36-40 Mots-clés : | Etats-Unis Afghanistan enlisement après attentats lutte | Note de contenu : | C'est le plus long conflit mené par les États-Unis. En 2001, pourtant, l'objectif semblait clair.
Le président américain George W. Bush prononça, le soir du 11 septembre 2001, un discours qui allait façonner de manière profonde la politique étrangère américaine. Ces attentats sont des « actes de guerre » déclara-t-il alors, et « nous ne ferons aucune distinction entre les terroristes qui ont commis ces actes [Al-Qaida], et ceux qui les abritent [les talibans] ». Le pays aux mains des talibans (avec à leur tête le mollah Omar, photo) depuis 1996 abritait les bases de l'association terroriste et Oussama ben Laden. L'idée était donc apparemment simple : éradiquer Al-Qaida, mais aussi renverser les talibans, imposer un nouvel ordre politique en adéquation avec les intérêts américains, le tout en engageant le minimum de soldats américains sur le sol afghan.
George W. Bush avait affiché ses convictions l'année précédente, lors de la campagne présidentielle : les soldats américains, avait-il expliqué, n'ont pas vocation à reconstruire les États et les sociétés, mais bien à faire la guerre, y compris contre les régimes dictatoriaux ennemis des États-Unis. Cette idée fut bientôt érigée en doctrine, celle du regime change.
Premiers succès militaires
Mais ce double amalgame, entre guerre et terrorisme d'une part, entre Al-Qaida et talibans d'autre part, explique toute l'ambiguïté et l'exceptionnalité de l'intervention américaine en Afghanistan : les États-Unis ont répondu à des attaques terroristes fomentées par une organisation non étatique en envahissant un État souverain (bien que le régime taliban ne soit alors reconnu que par une poignée d'États). Cet amalgame explique vingt années de tâtonnements et d'hésitations sur la stratégie à mener en Afghanistan, entre « guerre contre le terrorisme » et contre-insurrection.
Quinze jours seulement après l'effondrement des Twin Towers, des agents de la CIA furent héliportés sur le territoire afghan. Leur rôle était d'entrer en contact avec les principaux commandants de l'Alliance du Nord (les forces afghanes qui résistaient aux talibans dans le nord-est du pays) et de leur fournir les ressources financières et militaires nécessaires à la reconquête du pays. En octobre, des commandos de forces spéciales furent envoyés à leur tour afin de coordonner les combats au sol et le bombardement des positions talibanes par l'aviation américaine.
Le succès militaire fut fulgurant. L'Alliance du Nord reprit Kaboul à la mi-novembre. Les conséquences de cette stratégie, en revanche, furent désastreuses. Les principaux commandants de l'Alliance du Nord, dont la légitimité et les capacités militaires avaient été renforcées par les Américains, s'emparèrent d'un maximum de ressources, à commencer par les terres les plus fertiles et les administrations publiques. Une conférence fut alors organisée à Bonn, en Allemagne, en novembre-décembre 2001, afin d'établir les grandes lignes de la mise en place du nouveau régime et nommer un gouvernement intérimaire dirigé par Hamid Karzaï. Une nouvelle Constitution fut adoptée en 2004, une élection présidentielle fut organisée la même année, suivie, en 2005, d'élections législatives. Les États-Unis, soucieux de maintenir une « empreinte légère » en Afghanistan, ne cessaient pourtant de soutenir (et d'enrichir) leurs alliés de 2001, en échange d'un certain nombre de services (approvisionnement en matières premières, renseignement, etc.).
Au sein de la communauté internationale, l'optimisme restait alors de mise : le pays avait été libéré du joug des talibans, la démocratie à l'occidentale avait débarqué en Afghanistan, et l'organisation responsable des attentats du 11 Septembre était aux abois. Une majorité des militants d'Al-Qaida avaient été chassés, incarcérés ou éliminés dès les semaines et les mois qui suivirent les attentats de New York et Washington.
La situation était pourtant critique : le régime était corrompu ; les bienfaits de la démocratie se faisaient attendre ; les commandants de l'Alliance du Nord dirigeaient leurs fiefs de manière autoritaire ; et les populations pachtounes du sud et de l'est de l'Afghanistan se sentaient marginalisées. La présence militaire étrangère était par ailleurs très mal acceptée du fait de la multiplication des victimes collatérales et du peu de respect des soldats de la Coalition envers les coutumes locales.
Corruption massive
Les talibans, qui s'étaient entre-temps réorganisés au Pakistan, profitèrent de ce contexte pour lancer une insurrection armée à partir des années 2004-2005. Pour vaincre les talibans et gagner la « guerre contre le terrorisme », les Américains et leurs alliés s'engagèrent alors à construire un État qui soit en mesure de répondre aux attentes de la population. Avec les résultats que nous connaissons aujourd'hui : une corruption massive et généralisée, des élites politiques et militaires qui agissent en dehors de tout contrôle étatique, et un régime en proie à l'implosion.
Quant à Ben Laden, il fut abattu non pas sur le territoire afghan, mais au Pakistan, dans la nuit du 1er au 2 mai 2011, dix ans après les attentats. Une autre décennie s'écoula avant que Joe Biden, fraîchement élu à la présidence des États-Unis, décide le retrait total des troupes américaines d'Afghanistan.
En vingt ans, les États-Unis ont envoyé 775 000 soldats en Afghanistan, dépensé près de 900 milliards de dollars et perdu près de 2 500 hommes, sans pour autant parvenir à vaincre les talibans ni à installer un régime politique stable. Ce conflit représente l'échec criant de la doctrine du regime change et de l'idée qu'une puissance étrangère, aussi puissante soit-elle, a la capacité de façonner une société par le biais d'une intervention militaire.
Romain Malejacq est professeur assistant au département de science politique (Cicam) de l'université Radboud de Nimègue, aux Pays-Bas.
Vingt ans de lutte contre les talibans
Les premiers soldats américains posent le pied en Afghanistan en octobre 2001. Ils apportent leur soutien à l'Alliance du Nord contre le régime des talibans. Kaboul est prise dès novembre. Mais le régime afghan, affaibli par la corruption encouragée par les aides internationales, voit la menace talibane vite ressurgir. La guérilla reprend jusqu'à motiver l'envoi de troupes supplémentaires par Obama en 2009.
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