[article] in L'Histoire > N° 487 (septembre 2021) . - p. 62-63 Titre : | L'Atelier des CHERCHEURS : 1. En route pour le WEHC | Type de document : | Livres, articles, périodiques | Auteurs : | Liliane Hilaire-Pérez, Auteur ; Manuela Martini, Auteur | Année de publication : | 2021 | Article en page(s) : | p. 62-63 | Langues : | Français (fre) | Mots-clés : | économie WEHC dynamiques actuelles âge d'or | Note de contenu : | En juillet 2022 se tiendra à Paris le XIXe Congrès mondial d'histoire économique. Une discipline en plein renouvellement.
Initié à Stockholm en 1960 par l'une des grandes figures de l'histoire économique, Fernand Braudel (Collège de France), au côté de Michael Postan (London School of Economics) et d'Ernst Söderlund (université de Stockholm), le premier Congrès d'histoire économique s'est tenu en France, à Aix-en-Provence, en 1962, sous l'égide de l'Association internationale d'histoire économique. Née à la fin des années 1950, dans le contexte de la guerre froide, cette association - dont l'acronyme anglais, International Economic History Association, IEHA, s'impose assez vite - se considère alors « comme engagée dans le processus de détente entre l'Europe occidentale et l'Amérique d'une part, l'Europe orientale et l'Union soviétique d'autre part »1. Elle exprime « l'histoire d'une culture universitaire » nourrie par les coopérations scientifiques et institutionnelles, dessinant « un monde de la diplomatie scientifique internationale ».
Au même moment, en France, des historiens aux parcours divers, spécialistes de périodes et de domaines fort variés mais tous reconnus, se réunissent à Paris en 1963 pour jeter les bases de l'AFHE. Font partie du noyau fondateur Robert Boutruche, Fernand Braudel, Jean Bouvier, François Crouzet, Georges Duby, Bertrand Gille, Pierre Goubert, Ernest Labrousse, Pierre Léon, Frédéric Mauro, Pierre Vilar. La gestation a été relativement longue : ce comité d'organisation soumet, plus de deux ans plus tard, les statuts à l'assemblée constituante qui se réunit le 30 mai 1965 et dont font aussi partie, entre autres, Pierre Chaunu, Jacques Le Goff, Emmanuel Le Roy Ladurie et Maurice Lévy-Leboyer2. Ernest Labrousse occupe la première présidence, tandis que Fernand Braudel assure celle de l'IEHA entre 1962 et 1965. C'est pendant ces mêmes années que les deux hommes conçoivent et dirigent le long chantier qui donnera lieu aux volumes de l'Histoire économique et sociale de la France, publiés par les Presses universitaires de France.
L'âge d'or des années 1960
Ces différentes initiatives témoignent d'un rayonnement scientifique dont l'histoire économique peut aujourd'hui être nostalgique. A cette époque des départements spécifiques étaient fondés dans bien des universités en France et à l'international. La production historique était dominée par l'histoire économique. Dans le sillage des Annales et d'Ernest Labrousse, Pierre Goubert, notamment avec sa thèse Beauvais et le Beauvaisis, de 1600 à 1730 (1960), renouvelait l'histoire de l'Ancien Régime par l'attention portée à la complexité des situations socio-économiques, parlant ainsi des paysanneries et non de la paysannerie française. Fernand Braudel introduisait le concept d'économie-monde, montrant que le capitalisme, à cette échelle, avait revêtu plusieurs formes, irréductibles à l'ère industrielle. Dans les années 1960 Jean Bouvier proposait une histoire incarnée de la finance et de la banque, en se penchant sur des institutions emblématiques comme le Crédit lyonnais.
Au-delà même des cercles scientifiques, l'histoire économique était porteuse d'enjeux cruciaux. Elle était un terrain de débat et de dialogue ente historiens marxistes et non marxistes de même qu'un outil pour penser les politiques de développement et le concept de modernisation. L'attrait exercé par le livre de Walt W. Rostow The Stages of Economic Growth. A Non-Communist Manifesto (1960), proposant une analyse normative et linéaire des processus de croissance, était, déjà, sujet à des mises en perspective, par exemple au centre des débats sur la place de l'industrialisation dans le développement économique.
Dynamiques actuelles
Si de nos jours l'histoire économique est moins ancrée institutionnellement, la discipline a récemment connu un coup de neuf. Les femmes sont enfin présentes dans les départements, les associations représentatives et la recherche. Les thématiques de recherche sont aussi largement renouvelées et diversifiées. Enfin, l'histoire économique est de plus en plus reconnue comme une clé de compréhension de la globalisation des échanges comme de la production et de ses conséquences (inégalités, prédation des ressources, impacts environnementaux planétaires, crises sanitaires et économiques).
Dans ce contexte renouvelé, où va donc l'histoire économique française ? Comme le montre le succès du livre de Thomas Piketty Le Capital au XXIe siècle (Seuil, 2013), elle rayonne indéniablement à l'international. Elle va de plus porter la présidence de l'IEHA pendant trois ans, entre 2022 et 2025, et fourmille de nouveaux projets.
Elle aurait pu disparaître avec la remise en cause de la démarche quantitative dans les années 1990 et l'essor en France de l'histoire des représentations. Il n'en a rien été. Les méthodes ont été questionnées. Les catégories à la base des classifications de l'histoire quantitative ont été contextualisées. Non seulement l'approche quantitative des phénomènes socio-économiques n'a pas été abandonnée mais elle mobilise maintenant des modèles capables de prendre en compte des variables de plus en plus fines ou de plus en plus massives par le recours croissant au numérique et ce pour toutes les périodes, y compris les plus anciennes.
Au-delà de son compagnonnage traditionnel avec l'économie, elle se renouvelle par des rencontres interdisciplinaires avec l'anthropologie, les sciences de l'organisation, les humanités numériques, le traitement automatisé de la langue (TAL), l'ethnométhodologie, qui permet la reconstitution de budgets familiaux et des niveaux de vie, ou encore l'archéométrie, méthode-clé pour l'étude des matériaux et des procédés anciens. Des thématiques originales la traversent depuis une génération (techniques, savoirs, genre, environnement, migrations, santé, institutions...), comme en témoignent les articles à découvrir chaque mois dans L'Histoire.
Cette dynamique résonne à l'échelle mondiale. Le XIXe Congrès mondial d'histoire économique (WEHC) organisé à Paris en 2022 atteste ce renouvellement. Son thème, « Les ressources », est en prise avec les thématiques qui placent aujourd'hui l'histoire économique au premier plan des débats de société et des choix politiques.
C'est pourquoi le congrès de Paris inaugure l'été prochain une nouvelle formule : un « pass Histoire publique » qui assurera l'ouverture du congrès à un large public. Ainsi le WEHC 2022 décide-t-il d'ouvrir une nouvelle page, celle de l'histoire économique dans la cité.
Notes
1. M. Berg, « Dialogues Est-Ouest : les historiens économistes, la guerre froide et la détente », Le Mouvement social n° 259, 2017/2, pp. 33-58.
2. Cf. M. Merger, « L'AFHE : quelques repères historiques », D. Barjot (dir.), « Où va l'histoire économique ? », Historiens & Géographes n° 378, 2002, pp. 7-8.
LES AUTEURES
Professeure à l'université de Paris et directrice d'études à l'EHESS, Liliane Hilaire-Pérez est responsable du comité d'organisation du WEHC 2022.
Professeure à l'université Lumière-Lyon-2, Manuela Martini est présidente de l'Association française d'histoire économique (AFHE).
WEHC
Le XIXe Congrès mondial d'histoire économique (World Economic History Congress, WEHC) se tiendra du 25 au 29 juillet 2022 à Paris, sur le tout nouveau campus Condorcet. Il est organisé par l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), l'Association française d'histoire économique (AFHE) et l'École d'économie de Paris/Paris School of Economics (PSE). Le « pass Histoire publique » donnera accès à une série de manifestations telles que les grandes conférences plénières, l'exposition « Évolutions industrielles » de la Cité des sciences et de l'industrie, partenaire, les déjeuners-débats, le forum des éditeurs, les rencontres avec les mécènes et les éditeurs et les prix récompensant les réalisations numériques en histoire économique.
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[article] L'Atelier des CHERCHEURS : 1. En route pour le WEHC [Livres, articles, périodiques] / Liliane Hilaire-Pérez, Auteur ; Manuela Martini, Auteur . - 2021 . - p. 62-63. Langues : Français ( fre) in L'Histoire > N° 487 (septembre 2021) . - p. 62-63 Mots-clés : | économie WEHC dynamiques actuelles âge d'or | Note de contenu : | En juillet 2022 se tiendra à Paris le XIXe Congrès mondial d'histoire économique. Une discipline en plein renouvellement.
Initié à Stockholm en 1960 par l'une des grandes figures de l'histoire économique, Fernand Braudel (Collège de France), au côté de Michael Postan (London School of Economics) et d'Ernst Söderlund (université de Stockholm), le premier Congrès d'histoire économique s'est tenu en France, à Aix-en-Provence, en 1962, sous l'égide de l'Association internationale d'histoire économique. Née à la fin des années 1950, dans le contexte de la guerre froide, cette association - dont l'acronyme anglais, International Economic History Association, IEHA, s'impose assez vite - se considère alors « comme engagée dans le processus de détente entre l'Europe occidentale et l'Amérique d'une part, l'Europe orientale et l'Union soviétique d'autre part »1. Elle exprime « l'histoire d'une culture universitaire » nourrie par les coopérations scientifiques et institutionnelles, dessinant « un monde de la diplomatie scientifique internationale ».
Au même moment, en France, des historiens aux parcours divers, spécialistes de périodes et de domaines fort variés mais tous reconnus, se réunissent à Paris en 1963 pour jeter les bases de l'AFHE. Font partie du noyau fondateur Robert Boutruche, Fernand Braudel, Jean Bouvier, François Crouzet, Georges Duby, Bertrand Gille, Pierre Goubert, Ernest Labrousse, Pierre Léon, Frédéric Mauro, Pierre Vilar. La gestation a été relativement longue : ce comité d'organisation soumet, plus de deux ans plus tard, les statuts à l'assemblée constituante qui se réunit le 30 mai 1965 et dont font aussi partie, entre autres, Pierre Chaunu, Jacques Le Goff, Emmanuel Le Roy Ladurie et Maurice Lévy-Leboyer2. Ernest Labrousse occupe la première présidence, tandis que Fernand Braudel assure celle de l'IEHA entre 1962 et 1965. C'est pendant ces mêmes années que les deux hommes conçoivent et dirigent le long chantier qui donnera lieu aux volumes de l'Histoire économique et sociale de la France, publiés par les Presses universitaires de France.
L'âge d'or des années 1960
Ces différentes initiatives témoignent d'un rayonnement scientifique dont l'histoire économique peut aujourd'hui être nostalgique. A cette époque des départements spécifiques étaient fondés dans bien des universités en France et à l'international. La production historique était dominée par l'histoire économique. Dans le sillage des Annales et d'Ernest Labrousse, Pierre Goubert, notamment avec sa thèse Beauvais et le Beauvaisis, de 1600 à 1730 (1960), renouvelait l'histoire de l'Ancien Régime par l'attention portée à la complexité des situations socio-économiques, parlant ainsi des paysanneries et non de la paysannerie française. Fernand Braudel introduisait le concept d'économie-monde, montrant que le capitalisme, à cette échelle, avait revêtu plusieurs formes, irréductibles à l'ère industrielle. Dans les années 1960 Jean Bouvier proposait une histoire incarnée de la finance et de la banque, en se penchant sur des institutions emblématiques comme le Crédit lyonnais.
Au-delà même des cercles scientifiques, l'histoire économique était porteuse d'enjeux cruciaux. Elle était un terrain de débat et de dialogue ente historiens marxistes et non marxistes de même qu'un outil pour penser les politiques de développement et le concept de modernisation. L'attrait exercé par le livre de Walt W. Rostow The Stages of Economic Growth. A Non-Communist Manifesto (1960), proposant une analyse normative et linéaire des processus de croissance, était, déjà, sujet à des mises en perspective, par exemple au centre des débats sur la place de l'industrialisation dans le développement économique.
Dynamiques actuelles
Si de nos jours l'histoire économique est moins ancrée institutionnellement, la discipline a récemment connu un coup de neuf. Les femmes sont enfin présentes dans les départements, les associations représentatives et la recherche. Les thématiques de recherche sont aussi largement renouvelées et diversifiées. Enfin, l'histoire économique est de plus en plus reconnue comme une clé de compréhension de la globalisation des échanges comme de la production et de ses conséquences (inégalités, prédation des ressources, impacts environnementaux planétaires, crises sanitaires et économiques).
Dans ce contexte renouvelé, où va donc l'histoire économique française ? Comme le montre le succès du livre de Thomas Piketty Le Capital au XXIe siècle (Seuil, 2013), elle rayonne indéniablement à l'international. Elle va de plus porter la présidence de l'IEHA pendant trois ans, entre 2022 et 2025, et fourmille de nouveaux projets.
Elle aurait pu disparaître avec la remise en cause de la démarche quantitative dans les années 1990 et l'essor en France de l'histoire des représentations. Il n'en a rien été. Les méthodes ont été questionnées. Les catégories à la base des classifications de l'histoire quantitative ont été contextualisées. Non seulement l'approche quantitative des phénomènes socio-économiques n'a pas été abandonnée mais elle mobilise maintenant des modèles capables de prendre en compte des variables de plus en plus fines ou de plus en plus massives par le recours croissant au numérique et ce pour toutes les périodes, y compris les plus anciennes.
Au-delà de son compagnonnage traditionnel avec l'économie, elle se renouvelle par des rencontres interdisciplinaires avec l'anthropologie, les sciences de l'organisation, les humanités numériques, le traitement automatisé de la langue (TAL), l'ethnométhodologie, qui permet la reconstitution de budgets familiaux et des niveaux de vie, ou encore l'archéométrie, méthode-clé pour l'étude des matériaux et des procédés anciens. Des thématiques originales la traversent depuis une génération (techniques, savoirs, genre, environnement, migrations, santé, institutions...), comme en témoignent les articles à découvrir chaque mois dans L'Histoire.
Cette dynamique résonne à l'échelle mondiale. Le XIXe Congrès mondial d'histoire économique (WEHC) organisé à Paris en 2022 atteste ce renouvellement. Son thème, « Les ressources », est en prise avec les thématiques qui placent aujourd'hui l'histoire économique au premier plan des débats de société et des choix politiques.
C'est pourquoi le congrès de Paris inaugure l'été prochain une nouvelle formule : un « pass Histoire publique » qui assurera l'ouverture du congrès à un large public. Ainsi le WEHC 2022 décide-t-il d'ouvrir une nouvelle page, celle de l'histoire économique dans la cité.
Notes
1. M. Berg, « Dialogues Est-Ouest : les historiens économistes, la guerre froide et la détente », Le Mouvement social n° 259, 2017/2, pp. 33-58.
2. Cf. M. Merger, « L'AFHE : quelques repères historiques », D. Barjot (dir.), « Où va l'histoire économique ? », Historiens & Géographes n° 378, 2002, pp. 7-8.
LES AUTEURES
Professeure à l'université de Paris et directrice d'études à l'EHESS, Liliane Hilaire-Pérez est responsable du comité d'organisation du WEHC 2022.
Professeure à l'université Lumière-Lyon-2, Manuela Martini est présidente de l'Association française d'histoire économique (AFHE).
WEHC
Le XIXe Congrès mondial d'histoire économique (World Economic History Congress, WEHC) se tiendra du 25 au 29 juillet 2022 à Paris, sur le tout nouveau campus Condorcet. Il est organisé par l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), l'Association française d'histoire économique (AFHE) et l'École d'économie de Paris/Paris School of Economics (PSE). Le « pass Histoire publique » donnera accès à une série de manifestations telles que les grandes conférences plénières, l'exposition « Évolutions industrielles » de la Cité des sciences et de l'industrie, partenaire, les déjeuners-débats, le forum des éditeurs, les rencontres avec les mécènes et les éditeurs et les prix récompensant les réalisations numériques en histoire économique.
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