[article] in L'Histoire > N° 508 (Juin 2023) . - p. 90-91 Titre : | Guide des Sorties : Expositions - La contrebasse de Mauthausen | Type de document : | Livres, articles, périodiques | Auteurs : | Anaïs Fléchet, Auteur | Année de publication : | 2023 | Article en page(s) : | p. 90-91 | Langues : | Français (fre) | Mots-clés : | expositions Shoah musique Mauthausen | Note de contenu : |
Le mémorial de la Shoah consacre une exposition à la musique dans les camps.
Il crie jouez plus douce la mort la mort est un maître d'Allemagne/ il crie plus sombres les archets et votre fumée montera vers le ciel. » Dès 1945, Paul Celan dénonçait dans sa Todesfugue le lien entre musique et barbarie. C'est à ces sombres archets, mais aussi aux diverses formes de résistance musicale qu'est consacrée l'exposition du mémorial de la Shoah. Orchestrée par la musicologue Élise Petit, cette manifestation s'inscrit dans le sillage des travaux de Guido Fackler (Des Lagers Stimme, Temmen, 2000) et Shirli Gilbert (Music in the Holocaust, Oxford University Press, 2005), qui ont montré la diversité des usages de la musique dans le système concentrationnaire nazi.
Guitares hawaïennes et ukulélés
Il y a bien sûr les musiques contraintes, diffusées à plein volume par les haut-parleurs ou jouées par les orchestres des camps, et les chants imposés aux prisonniers pour rythmer le travail forcé ou accompagner les exécutions publiques. Mais les détenus jouent aussi de la musique sotto voce à l'intérieur des baraquements, murmurent des mélodies clandestines. Des hymnes de résistance circulent, dont le célèbre Chant des marais. S'y ajoutent les musiques de divertissement des garnisons SS, dont certains étaient mélomanes (on se souvient du goût d'Adolf Eichmann pour le violoncelle), et divers spectacles de propagande.
L'exposition donne à voir ce paysage musical profondément ambivalent à travers une série d'objets, témoignages et documents d'archives. On y trouve d'étonnants instruments : une contrebasse fabriquée à Mauthausen, un bandonéon envoyé par ses parents à un détenu communiste de Sachsenhausen, une trompette arrivée avec un musicien néerlandais à Natzweiler-Struthof.
Si la plupart de ces instruments sont ceux de détenus, d'autres sont des commandes officielles. L'orchestre de Buchenwald reçoit ainsi des guitares hawaïennes, des ukulélés et un banjo en 1941, preuve de la diversité des répertoires joués dans les camps. Musique classique et création contemporaine y côtoient opérettes, jazz, romances et danses tsiganes.
Les photographies prises par les SS, comme les dessins et carnets de prisonniers, révèlent la topographie musicale des camps, où les sons structurent l'espace et le temps.
Un parcours sonore reconstitue une partie de cet univers musical à partir de partitions retrouvées dans les archives et enregistrées par des formations contemporaines. Il y manque cependant la dimension sonore, si présente dans les témoignages des rescapés : ordres hurlés par les SS, bruits des trains ou des pieds qui martèlent le sol, aboiements des chiens...
L'exposition se double d'un cycle de concerts, occasion d'entendre Le Verfügbar aux Enfers, l'opérette créée clandestinement par Germaine Tillion et des déportées de Ravensbrück en 1944, dont elle dira soixante ans plus tard : « Moi, j'étais terrassière [...] après ça, j'ai été débardeur, pour décharger les trains de tout ce qui avait été volé dans le monde entier. Alors j'ai fait ces trucs-là et, entre-temps, j'écrivais une opérette pour m'amuser entre deux meurtres. Voilà comment on survit, ou on ne survit pas. »
À VOIR
« La musique dans les camps nazis », jusqu'au 24 février 2024 au mémorial de la Shoah, Paris.
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[article] Guide des Sorties : Expositions - La contrebasse de Mauthausen [Livres, articles, périodiques] / Anaïs Fléchet, Auteur . - 2023 . - p. 90-91. Langues : Français ( fre) in L'Histoire > N° 508 (Juin 2023) . - p. 90-91 Mots-clés : | expositions Shoah musique Mauthausen | Note de contenu : |
Le mémorial de la Shoah consacre une exposition à la musique dans les camps.
Il crie jouez plus douce la mort la mort est un maître d'Allemagne/ il crie plus sombres les archets et votre fumée montera vers le ciel. » Dès 1945, Paul Celan dénonçait dans sa Todesfugue le lien entre musique et barbarie. C'est à ces sombres archets, mais aussi aux diverses formes de résistance musicale qu'est consacrée l'exposition du mémorial de la Shoah. Orchestrée par la musicologue Élise Petit, cette manifestation s'inscrit dans le sillage des travaux de Guido Fackler (Des Lagers Stimme, Temmen, 2000) et Shirli Gilbert (Music in the Holocaust, Oxford University Press, 2005), qui ont montré la diversité des usages de la musique dans le système concentrationnaire nazi.
Guitares hawaïennes et ukulélés
Il y a bien sûr les musiques contraintes, diffusées à plein volume par les haut-parleurs ou jouées par les orchestres des camps, et les chants imposés aux prisonniers pour rythmer le travail forcé ou accompagner les exécutions publiques. Mais les détenus jouent aussi de la musique sotto voce à l'intérieur des baraquements, murmurent des mélodies clandestines. Des hymnes de résistance circulent, dont le célèbre Chant des marais. S'y ajoutent les musiques de divertissement des garnisons SS, dont certains étaient mélomanes (on se souvient du goût d'Adolf Eichmann pour le violoncelle), et divers spectacles de propagande.
L'exposition donne à voir ce paysage musical profondément ambivalent à travers une série d'objets, témoignages et documents d'archives. On y trouve d'étonnants instruments : une contrebasse fabriquée à Mauthausen, un bandonéon envoyé par ses parents à un détenu communiste de Sachsenhausen, une trompette arrivée avec un musicien néerlandais à Natzweiler-Struthof.
Si la plupart de ces instruments sont ceux de détenus, d'autres sont des commandes officielles. L'orchestre de Buchenwald reçoit ainsi des guitares hawaïennes, des ukulélés et un banjo en 1941, preuve de la diversité des répertoires joués dans les camps. Musique classique et création contemporaine y côtoient opérettes, jazz, romances et danses tsiganes.
Les photographies prises par les SS, comme les dessins et carnets de prisonniers, révèlent la topographie musicale des camps, où les sons structurent l'espace et le temps.
Un parcours sonore reconstitue une partie de cet univers musical à partir de partitions retrouvées dans les archives et enregistrées par des formations contemporaines. Il y manque cependant la dimension sonore, si présente dans les témoignages des rescapés : ordres hurlés par les SS, bruits des trains ou des pieds qui martèlent le sol, aboiements des chiens...
L'exposition se double d'un cycle de concerts, occasion d'entendre Le Verfügbar aux Enfers, l'opérette créée clandestinement par Germaine Tillion et des déportées de Ravensbrück en 1944, dont elle dira soixante ans plus tard : « Moi, j'étais terrassière [...] après ça, j'ai été débardeur, pour décharger les trains de tout ce qui avait été volé dans le monde entier. Alors j'ai fait ces trucs-là et, entre-temps, j'écrivais une opérette pour m'amuser entre deux meurtres. Voilà comment on survit, ou on ne survit pas. »
À VOIR
« La musique dans les camps nazis », jusqu'au 24 février 2024 au mémorial de la Shoah, Paris.
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