[article] in L'Histoire > N° 493 (Mars 2022) . - p. 98 Titre : | Guide des Livres : Albert Camus, la justice et l'amour | Type de document : | Livres, articles, périodiques | Auteurs : | alain Vircondelet, Auteur | Année de publication : | 2022 | Article en page(s) : | p. 98 | Langues : | Français (fre) | Mots-clés : | livre Camus biographie | Note de contenu : | Albert Camus et la guerre d’Algérie. Histoire d’un malentendu, Alain Vircondelet, Éditions du Rocher, 2022, 320 p., 19,90 €.
La quatrième de couverture est formelle : voici, « loin de l'histoire officielle, des idéologies et des propagandes de tous bords, un récit bouleversant puisé aux sources du vivant, au plus près de l'Algérie et de Camus ». Au lecteur que cette proclamation fera sourire, à juste titre, rappelons qu'Alain Vircondelet n'est pas historien et, plutôt, qu'il demeure un enfant d'Alger où il est né en 1947, un rescapé de la communauté des Français de là-bas devenue en 1962 celle des « rapatriés » ou des « pieds-noirs » de métropole et d'outre-mer. Biographe et romancier sensible (on n'a pas oublié sa résurrection de Séraphine de Senlis), il croise depuis longtemps dans les parages de Camus, ancien élève comme lui au lycée Bugeaud, auquel il a consacré de nombreux travaux. Celui-ci paraît soixante ans après les accords d'Évian et, malgré l'a priori personnel et mémoriel qui le rend souvent péremptoire et orienté (pourquoi, par exemple, égratigner ainsi Benjamin Stora et son récent rapport ?), il rappelle utilement la part singulière de Camus face à ces « événements » qu'il fallut bien nommer une guerre.
Il suit les sinuosités biographiques et il souligne la fidélité charnelle et la rectitude morale qui ont conduit Camus, pris au piège de cette guerre fratricide, jusqu'aux Chroniques algériennes de 1958 où il a assemblé ses propos sur la terre natale depuis 1939, et à sa réplique restée célèbre à un étudiant, pendant une réunion de 1957 à Stockholm où il recevait le prix Nobel : « J'ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s'exerce aveuglément, dans les rues d'Alger par exemple, et qui un jour peut frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice. »
Cet aveu doublé d'un silence public - ce qui ne l'empêchait pas d'oeuvrer pour sauver des condamnés et des internés des deux rives - lui a valu d'être piétiné de toutes parts puisqu'il refusait de choisir son camp. Il a perdu des amis, comme l'écrivain Mouloud Feraoun devenu partisan de l'indépendance et assassiné par l'OAS. Le FLN en a fait un colonialiste honteux et un traître à la patrie. En métropole, l'extrême droite l'a vilipendé et l'intelligence progressiste, communiste, chrétienne ou porteuse de valises, a condamné sans appel cet humaniste douteux, Sartre en tête. Mais lui a tenu bon, dévoré par son Algérie « à mi-distance de la misère et du soleil », frère de ceux qui connaissaient « les déchirements du oui et du non, de midi et des minuits, de la révolte et de l'amour » et qui rêvaient d'un pays « où Français et Arabes s'associer[aient] librement ».
Sa ténacité a coulé de source : « J'ai décidé de maintenir au milieu de cette montée de folie tout ce que je croyais vrai. En premier lieu, travailler. Il me semble qu'assez de valeurs qui ne dépendent pas de nous sont en train de mourir pour que nous ne délaissions pas du moins ce dont nous sommes capables. » Car « il s'agit de servir la dignité de l'homme par des moyens qui restent dignes au milieu d'une histoire qui ne l'est pas ».
|
[article] Guide des Livres : Albert Camus, la justice et l'amour [Livres, articles, périodiques] / alain Vircondelet, Auteur . - 2022 . - p. 98. Langues : Français ( fre) in L'Histoire > N° 493 (Mars 2022) . - p. 98 Mots-clés : | livre Camus biographie | Note de contenu : | Albert Camus et la guerre d’Algérie. Histoire d’un malentendu, Alain Vircondelet, Éditions du Rocher, 2022, 320 p., 19,90 €.
La quatrième de couverture est formelle : voici, « loin de l'histoire officielle, des idéologies et des propagandes de tous bords, un récit bouleversant puisé aux sources du vivant, au plus près de l'Algérie et de Camus ». Au lecteur que cette proclamation fera sourire, à juste titre, rappelons qu'Alain Vircondelet n'est pas historien et, plutôt, qu'il demeure un enfant d'Alger où il est né en 1947, un rescapé de la communauté des Français de là-bas devenue en 1962 celle des « rapatriés » ou des « pieds-noirs » de métropole et d'outre-mer. Biographe et romancier sensible (on n'a pas oublié sa résurrection de Séraphine de Senlis), il croise depuis longtemps dans les parages de Camus, ancien élève comme lui au lycée Bugeaud, auquel il a consacré de nombreux travaux. Celui-ci paraît soixante ans après les accords d'Évian et, malgré l'a priori personnel et mémoriel qui le rend souvent péremptoire et orienté (pourquoi, par exemple, égratigner ainsi Benjamin Stora et son récent rapport ?), il rappelle utilement la part singulière de Camus face à ces « événements » qu'il fallut bien nommer une guerre.
Il suit les sinuosités biographiques et il souligne la fidélité charnelle et la rectitude morale qui ont conduit Camus, pris au piège de cette guerre fratricide, jusqu'aux Chroniques algériennes de 1958 où il a assemblé ses propos sur la terre natale depuis 1939, et à sa réplique restée célèbre à un étudiant, pendant une réunion de 1957 à Stockholm où il recevait le prix Nobel : « J'ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s'exerce aveuglément, dans les rues d'Alger par exemple, et qui un jour peut frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice. »
Cet aveu doublé d'un silence public - ce qui ne l'empêchait pas d'oeuvrer pour sauver des condamnés et des internés des deux rives - lui a valu d'être piétiné de toutes parts puisqu'il refusait de choisir son camp. Il a perdu des amis, comme l'écrivain Mouloud Feraoun devenu partisan de l'indépendance et assassiné par l'OAS. Le FLN en a fait un colonialiste honteux et un traître à la patrie. En métropole, l'extrême droite l'a vilipendé et l'intelligence progressiste, communiste, chrétienne ou porteuse de valises, a condamné sans appel cet humaniste douteux, Sartre en tête. Mais lui a tenu bon, dévoré par son Algérie « à mi-distance de la misère et du soleil », frère de ceux qui connaissaient « les déchirements du oui et du non, de midi et des minuits, de la révolte et de l'amour » et qui rêvaient d'un pays « où Français et Arabes s'associer[aient] librement ».
Sa ténacité a coulé de source : « J'ai décidé de maintenir au milieu de cette montée de folie tout ce que je croyais vrai. En premier lieu, travailler. Il me semble qu'assez de valeurs qui ne dépendent pas de nous sont en train de mourir pour que nous ne délaissions pas du moins ce dont nous sommes capables. » Car « il s'agit de servir la dignité de l'homme par des moyens qui restent dignes au milieu d'une histoire qui ne l'est pas ».
|
|