[article] in L'Histoire > N° 500 (Octobre 2022) . - p. 80 Titre : | Guide des Livres : Un étrange Algérien | Type de document : | Livres, articles, périodiques | Auteurs : | Arthur Asseraf, Auteur | Année de publication : | 2022 | Article en page(s) : | p. 80 | Langues : | Français (fre) | Mots-clés : | lecture livre Algérie 1881 | Note de contenu : | Le Désinformateur. Sur les traces de Messaoud Djebari, Algérien dans le monde colonial, Arthur Asseraf, Fayard, 2022, 272 p., 22 €.
On peut lire ce Désinformateur comme on suivrait Arsène Lupin ou le Bel-Ami de Maupassant qui touche, lui aussi, à l'Algérie ; en pensant au Pinagot d'Alain Corbin ou au Chocolat de Gérard Noiriel et en déplorant que Dominique Kalifa ne puisse plus venir à la rescousse. Mais, dont acte, on admet vite qu'Arthur Asseraf - présentement fellow à Cambridge et versé dans l'histoire de l'information au Maghreb et en Méditerranée à l'heure coloniale - se débat plaisamment, seul, nez au vent, avec un personnage surgi devant lui en 2014 à La Courneuve, diablotin tapi dans un carton des archives du Quai d'Orsay.
En effet, en avril 1881 le consul de France à Tunis a transmis à ses supérieurs d'Alger et de Paris le compte rendu de réunion d'une société secrète islamique de Guelma, dans le Constantinois, qui renseigne sur les menées italiennes en Tunisie et, pire, appelle les Algériens à prendre en main leurs propres affaires. Une brève enquête révèle que l'homme-clé de l'affaire est le secrétaire de ladite réunion, Messaoud Djebari, né à Guelma en 1862. De basse extraction, repéré successivement comme chef de gare, militaire prenant du galon chez les spahis, interprète parce qu'ancien élève d'une médersa, il manie fort bien l'arabe et le français. Détesté par les notables, emprisonné à l'occasion, ce beau parleur est toujours « à la frontière de la vérité, de la fiction et de l'hallucination ». Il n'est pas le seul à développer tant d'entregent dans la société coloniale d'alors, mais il va se singulariser à proportion des trouvailles d'archives et des réflexions de son « inventeur », Arthur Asseraf.
On laisse le lecteur pérégriner au fil de sa recherche. Il retrouve Djebari en 1892, chargé d'une mission d'exploration vers le lac Tchad par un commandant Rebillet, béni par la Société de géographie de Paris, mais amorçant son périple non par le Sahel mais par Bordeaux et Porto-Novo, avant de rentrer bredouille et lâché par Rebillet, tout en prétendant avoir croisé des survivants de la mission Flatters massacrée là-bas. En 1895, le voici conférencier adulé par le Tout-Paris, auteur d'un livre fourre-tout sur son aventure, salué dans la grande presse, y compris la plus antisémite, alors si ravageuse jusqu'à Oran et Alger. L'année suivante, Bruxelles l'encensa tout autant dès qu'il prétendit avoir croisé bien vivant le marquis de Morès assassiné depuis longtemps.
Puis vient le silence. On le repère à peine répudiant sa première femme musulmane, puis naturalisé français pour pouvoir épouser une Européenne, dont il a divorcé en 1903. Il est mort on ne sait quand, quelque part entre Marseille, Constantinople ou Djibouti.
Il ne fut pas un escroc, mais un « équilibriste sans filet » qui s'agita sans jamais tomber le masque. Il n'était pas si mauvais républicain et il fréquenta des radicaux français. Il a laissé la très mince trace d'une sorte « d'intellectuel populaire » qui détestait les « burnous blancs », les caïds ralliés aux roumis, et rêvait sans doute d'émanciper l'indigène, en lui-même et pour ses frères.
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[article] Guide des Livres : Un étrange Algérien [Livres, articles, périodiques] / Arthur Asseraf, Auteur . - 2022 . - p. 80. Langues : Français ( fre) in L'Histoire > N° 500 (Octobre 2022) . - p. 80 Mots-clés : | lecture livre Algérie 1881 | Note de contenu : | Le Désinformateur. Sur les traces de Messaoud Djebari, Algérien dans le monde colonial, Arthur Asseraf, Fayard, 2022, 272 p., 22 €.
On peut lire ce Désinformateur comme on suivrait Arsène Lupin ou le Bel-Ami de Maupassant qui touche, lui aussi, à l'Algérie ; en pensant au Pinagot d'Alain Corbin ou au Chocolat de Gérard Noiriel et en déplorant que Dominique Kalifa ne puisse plus venir à la rescousse. Mais, dont acte, on admet vite qu'Arthur Asseraf - présentement fellow à Cambridge et versé dans l'histoire de l'information au Maghreb et en Méditerranée à l'heure coloniale - se débat plaisamment, seul, nez au vent, avec un personnage surgi devant lui en 2014 à La Courneuve, diablotin tapi dans un carton des archives du Quai d'Orsay.
En effet, en avril 1881 le consul de France à Tunis a transmis à ses supérieurs d'Alger et de Paris le compte rendu de réunion d'une société secrète islamique de Guelma, dans le Constantinois, qui renseigne sur les menées italiennes en Tunisie et, pire, appelle les Algériens à prendre en main leurs propres affaires. Une brève enquête révèle que l'homme-clé de l'affaire est le secrétaire de ladite réunion, Messaoud Djebari, né à Guelma en 1862. De basse extraction, repéré successivement comme chef de gare, militaire prenant du galon chez les spahis, interprète parce qu'ancien élève d'une médersa, il manie fort bien l'arabe et le français. Détesté par les notables, emprisonné à l'occasion, ce beau parleur est toujours « à la frontière de la vérité, de la fiction et de l'hallucination ». Il n'est pas le seul à développer tant d'entregent dans la société coloniale d'alors, mais il va se singulariser à proportion des trouvailles d'archives et des réflexions de son « inventeur », Arthur Asseraf.
On laisse le lecteur pérégriner au fil de sa recherche. Il retrouve Djebari en 1892, chargé d'une mission d'exploration vers le lac Tchad par un commandant Rebillet, béni par la Société de géographie de Paris, mais amorçant son périple non par le Sahel mais par Bordeaux et Porto-Novo, avant de rentrer bredouille et lâché par Rebillet, tout en prétendant avoir croisé des survivants de la mission Flatters massacrée là-bas. En 1895, le voici conférencier adulé par le Tout-Paris, auteur d'un livre fourre-tout sur son aventure, salué dans la grande presse, y compris la plus antisémite, alors si ravageuse jusqu'à Oran et Alger. L'année suivante, Bruxelles l'encensa tout autant dès qu'il prétendit avoir croisé bien vivant le marquis de Morès assassiné depuis longtemps.
Puis vient le silence. On le repère à peine répudiant sa première femme musulmane, puis naturalisé français pour pouvoir épouser une Européenne, dont il a divorcé en 1903. Il est mort on ne sait quand, quelque part entre Marseille, Constantinople ou Djibouti.
Il ne fut pas un escroc, mais un « équilibriste sans filet » qui s'agita sans jamais tomber le masque. Il n'était pas si mauvais républicain et il fréquenta des radicaux français. Il a laissé la très mince trace d'une sorte « d'intellectuel populaire » qui détestait les « burnous blancs », les caïds ralliés aux roumis, et rêvait sans doute d'émanciper l'indigène, en lui-même et pour ses frères.
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