[article] in L'Histoire > N° 500 (Octobre 2022) . - p. 92-93 Titre : | Guide des Sorties : Expositions - Au bonheur de Rosa | Type de document : | Livres, articles, périodiques | Auteurs : | Nicolas Ivanoff, Auteur | Année de publication : | 2022 | Article en page(s) : | p. 92-93 | Langues : | Français (fre) | Mots-clés : | lecture exposition Rosa Bonheur peinture femme 1822-1899 | Note de contenu : | Oubliée car représentante d'une école de peinture « secondaire », Rosa Bonheur fut pionnière de l'émancipation des femmes.
La place des femmes dans l'art est un sujet discuté et réévalué. L'exposition sur Rosa Bonheur qui se tient au musée d'Orsay jusqu'au 15 janvier 2023, après le musée des Beaux-Arts de Bordeaux, vient renouveler l'analyse sur la place de cette peintre dans l'histoire de l'art. Née en 1822 dans une famille d'artistes sans fortune, Rosalie dite Rosa Bonheur est confrontée tôt à la question de son avenir. Alors que son père la voit couturière, elle refuse et s'impose à ses côtés comme dessinatrice. Sélectionnée pour exposer dès ses 19 ans au Salon, son style quasi photographique fait mouche et elle s'impose dans l'art animalier. Mais ce genre quelque peu méprisé la relègue au second plan après sa mort en 1899.
Sous l'influence saint-simonienne de son père et des écrits de Lamennais, la question de l'égalité entre homme et femme et du statut des animaux guide son travail et sa vie. Membre de la Société protectrice des animaux dès sa création en 1845, Rosa s'efforce dans ses oeuvres de montrer qu'ils sont « des êtres doués de sensibilité ». Devant le refus qui lui est signifié de peindre des chevaux (sujet réservé aux hommes), elle s'attelle à cette tâche de manière déterminée.
Pendant longtemps Rosa Bonheur a été associée à l'académisme, aux tableaux réalistes et pompiers du XIXe siècle qu'on regarde sans chercher à y déceler une vision de la société. On a moqué ses vaches, sans percevoir que cette représentation du monde rural, certes idéalisée, révèle une société en mutation qui voit les machines à vapeur pousser les paysans vers la ville et la disparition des animaux de trait. Alors que la photographie tend à concurrencer les peintres, Rosa révolutionne l'image de l'animal dans l'art. Dans Fenaison en Auvergne ou Labourage nivernais, les bovins bavent sous l'effort. Pas d'embellissement, juste une représentation aussi exacte que possible. Ses études préparatoires réalisées aux abattoirs où elle se rend en pantalon avec autorisation préfectorale montrent son souci de vérité quasi scientifique. Certains ont reproché à Rosa d'en avoir fait son « fonds de commerce ». Cézanne dira de sa peinture qu'elle est « horriblement ressemblante ». Mais avec son agent Gambart, elle s'exporte et les Anglo-Saxons sont friands de sa peinture, ce qui lui offre autonomie et liberté.
Femme et chef de famille
Rosa Bonheur, qui déclare qu'elle « soutiendra l'indépendance des femmes jusqu'à son dernier soupir » sans pour autant se vivre comme une militante, mène sa carrière et sa vie librement. Après la mort de son père, elle devient naturellement le chef de famille, qui subvient aux besoins des siens comme elle l'écrivit dans son testament. Un rôle qui n'empêche pas la réprobation quand elle s'installe dans la famille de son amie Nathalie Micas, dont elle partage la tombe. Artiste majeure dans ce monde masculin, Rosa Bonheur ne se maria pas, vécut toute sa vie avec des femmes, et tint sa place dans le monde par son travail. Figure féminine incontournable, dont l'oeuvre et la vie font l'objet de reportages dans les journaux de l'époque et première femme décorée de la Légion d'honneur au titre des beaux-arts, elle fut pourtant décriée par des avant-gardes, les critiques et les spécialistes (presque toujours masculins). L'exposition d'Orsay tente d'effacer cette « damnatio memoriae ».
Nicolas Ivanoff est professeur d'histoire-géographie au lycée Racine à Paris.
À VOIR
« Rosa Bonheur (1822-1899) », du 18 octobre 2022 au 15 janvier 2023 au musée d'Orsay, Paris.
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[article] Guide des Sorties : Expositions - Au bonheur de Rosa [Livres, articles, périodiques] / Nicolas Ivanoff, Auteur . - 2022 . - p. 92-93. Langues : Français ( fre) in L'Histoire > N° 500 (Octobre 2022) . - p. 92-93 Mots-clés : | lecture exposition Rosa Bonheur peinture femme 1822-1899 | Note de contenu : | Oubliée car représentante d'une école de peinture « secondaire », Rosa Bonheur fut pionnière de l'émancipation des femmes.
La place des femmes dans l'art est un sujet discuté et réévalué. L'exposition sur Rosa Bonheur qui se tient au musée d'Orsay jusqu'au 15 janvier 2023, après le musée des Beaux-Arts de Bordeaux, vient renouveler l'analyse sur la place de cette peintre dans l'histoire de l'art. Née en 1822 dans une famille d'artistes sans fortune, Rosalie dite Rosa Bonheur est confrontée tôt à la question de son avenir. Alors que son père la voit couturière, elle refuse et s'impose à ses côtés comme dessinatrice. Sélectionnée pour exposer dès ses 19 ans au Salon, son style quasi photographique fait mouche et elle s'impose dans l'art animalier. Mais ce genre quelque peu méprisé la relègue au second plan après sa mort en 1899.
Sous l'influence saint-simonienne de son père et des écrits de Lamennais, la question de l'égalité entre homme et femme et du statut des animaux guide son travail et sa vie. Membre de la Société protectrice des animaux dès sa création en 1845, Rosa s'efforce dans ses oeuvres de montrer qu'ils sont « des êtres doués de sensibilité ». Devant le refus qui lui est signifié de peindre des chevaux (sujet réservé aux hommes), elle s'attelle à cette tâche de manière déterminée.
Pendant longtemps Rosa Bonheur a été associée à l'académisme, aux tableaux réalistes et pompiers du XIXe siècle qu'on regarde sans chercher à y déceler une vision de la société. On a moqué ses vaches, sans percevoir que cette représentation du monde rural, certes idéalisée, révèle une société en mutation qui voit les machines à vapeur pousser les paysans vers la ville et la disparition des animaux de trait. Alors que la photographie tend à concurrencer les peintres, Rosa révolutionne l'image de l'animal dans l'art. Dans Fenaison en Auvergne ou Labourage nivernais, les bovins bavent sous l'effort. Pas d'embellissement, juste une représentation aussi exacte que possible. Ses études préparatoires réalisées aux abattoirs où elle se rend en pantalon avec autorisation préfectorale montrent son souci de vérité quasi scientifique. Certains ont reproché à Rosa d'en avoir fait son « fonds de commerce ». Cézanne dira de sa peinture qu'elle est « horriblement ressemblante ». Mais avec son agent Gambart, elle s'exporte et les Anglo-Saxons sont friands de sa peinture, ce qui lui offre autonomie et liberté.
Femme et chef de famille
Rosa Bonheur, qui déclare qu'elle « soutiendra l'indépendance des femmes jusqu'à son dernier soupir » sans pour autant se vivre comme une militante, mène sa carrière et sa vie librement. Après la mort de son père, elle devient naturellement le chef de famille, qui subvient aux besoins des siens comme elle l'écrivit dans son testament. Un rôle qui n'empêche pas la réprobation quand elle s'installe dans la famille de son amie Nathalie Micas, dont elle partage la tombe. Artiste majeure dans ce monde masculin, Rosa Bonheur ne se maria pas, vécut toute sa vie avec des femmes, et tint sa place dans le monde par son travail. Figure féminine incontournable, dont l'oeuvre et la vie font l'objet de reportages dans les journaux de l'époque et première femme décorée de la Légion d'honneur au titre des beaux-arts, elle fut pourtant décriée par des avant-gardes, les critiques et les spécialistes (presque toujours masculins). L'exposition d'Orsay tente d'effacer cette « damnatio memoriae ».
Nicolas Ivanoff est professeur d'histoire-géographie au lycée Racine à Paris.
À VOIR
« Rosa Bonheur (1822-1899) », du 18 octobre 2022 au 15 janvier 2023 au musée d'Orsay, Paris.
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