[article] in L'Histoire > N° 501 (Novembre 2022) . - p. 78 Titre : | Guide des Livres : La résilience hors Paris | Type de document : | Livres, articles, périodiques | Auteurs : | Jérôme Batout, Auteur | Année de publication : | 2022 | Article en page(s) : | p. 78 | Langues : | Français (fre) | Mots-clés : | lecture province Paris débât histoire politique | Note de contenu : | La Revanche de la province, Jérôme Batout, Gallimard-Le Débat, 2022, 128 p., 12 €.
Sur le pont aux ânes qu'est l'examen du rapport historique entre Paris et la province, le philosophe et économiste Jérôme Batout ouvre allègrement une perspective nouvelle. Bien sûr, dit-il, il faut prendre en compte la « périphérie » de Christophe Guilluy, les « archipels » de Jérôme Fourquet, les aïeux valise à la main sur le quai de Montparnasse ou d'Austerlitz, les Rastignac défiant en vain la capitale, l'orgueil d'État si rond-de-cuir et ses préfets si dévoués. Mais voilà, surprise : aujourd'hui on ne s'enterre plus à Mamers ou en Ardèche et, au contraire, « la province fait enfin bloc et cesse d'avoir honte » ! En somme, c'est Bienvenue chez les Ch'tis depuis le film de 2008.
On taquinera Jérôme Batout, prisonnier de la brièveté de son essai et de ses anticipations qui le font galoper trop vite, à propos de sa description des enjeux de pouvoirs sur la longue durée, de Louis XIV domestiquant les puissants à Versailles à l'arrogance des arrondissements du centre de Paris orchestrant jusqu'aux bals de sous-préfecture ; sur les rapports de force mais aussi de gratitude, respectifs et réciproques, pérennisés sous drapeau ministériel, industriel, financier, démographique, linguistique, savant ou culturel. Il ne peint guère les Parisiens et les provinciaux à l'oeuvre et, du coup, l'on pense très fort à Emmanuel Le Roy Ladurie et sa belle Histoire de France des régions (Seuil, 2001). On s'interroge aussi sur l'exhumation du mot « province », longtemps rayé de la carte et qu'au demeurant personne ne revendique.
On dispute cependant avec plaisir, en se demandant si Jérôme Batout n'a pas raison de nous prendre ainsi au collet. Après tout, il est vrai que le Roi-Soleil et Colbert ont visé juste ; qu'en 1848 le suffrage universel a établi une paix armée entre l'autorité centrale, les élus locaux et les électeurs ; que le maillage des échanges et des richesses a garanti une sorte de fluidité, de complémentarité et même de division mimétique profitables au pays tout entier, Paris gérant mais la province restant nourricière.
Ce temps-là est révolu, affirme Jérôme Batout, quoi qu'en disent les nostalgiques et les souverainistes. La force du livre est de dire l'ampleur du revirement contemporain en l'arrimant à deux déferlantes, si visibles depuis les années 1980 : la mondialisation d'abord, qui a conduit Paris à « larguer » la province pour « chercher son salut sur les marchés financiers, avec des entreprises sans ouvriers ou des supermarchés sans agriculteurs » et, pour l'argent de poche, la tour Eiffel visitée en masse ; mais aussi la Californian way of life d'importation, qui a « réarmé culturellement la province française » en mettant en vedette ses temporalités au style de vie supposé plus doux, voire plus « bio » et en 5 G.
Si bien que Paris et la province en viennent au désarmement général. Mais la province sera gagnante, puisque sa revanche est très inventive et peut redevenir nourricière. Ainsi s'ouvre l'éventail d'un « champ des possibles », y compris dans l'Outre-Mer, auquel le livre réserve, ce qui est rare, un bon chapitre.
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[article] Guide des Livres : La résilience hors Paris [Livres, articles, périodiques] / Jérôme Batout, Auteur . - 2022 . - p. 78. Langues : Français ( fre) in L'Histoire > N° 501 (Novembre 2022) . - p. 78 Mots-clés : | lecture province Paris débât histoire politique | Note de contenu : | La Revanche de la province, Jérôme Batout, Gallimard-Le Débat, 2022, 128 p., 12 €.
Sur le pont aux ânes qu'est l'examen du rapport historique entre Paris et la province, le philosophe et économiste Jérôme Batout ouvre allègrement une perspective nouvelle. Bien sûr, dit-il, il faut prendre en compte la « périphérie » de Christophe Guilluy, les « archipels » de Jérôme Fourquet, les aïeux valise à la main sur le quai de Montparnasse ou d'Austerlitz, les Rastignac défiant en vain la capitale, l'orgueil d'État si rond-de-cuir et ses préfets si dévoués. Mais voilà, surprise : aujourd'hui on ne s'enterre plus à Mamers ou en Ardèche et, au contraire, « la province fait enfin bloc et cesse d'avoir honte » ! En somme, c'est Bienvenue chez les Ch'tis depuis le film de 2008.
On taquinera Jérôme Batout, prisonnier de la brièveté de son essai et de ses anticipations qui le font galoper trop vite, à propos de sa description des enjeux de pouvoirs sur la longue durée, de Louis XIV domestiquant les puissants à Versailles à l'arrogance des arrondissements du centre de Paris orchestrant jusqu'aux bals de sous-préfecture ; sur les rapports de force mais aussi de gratitude, respectifs et réciproques, pérennisés sous drapeau ministériel, industriel, financier, démographique, linguistique, savant ou culturel. Il ne peint guère les Parisiens et les provinciaux à l'oeuvre et, du coup, l'on pense très fort à Emmanuel Le Roy Ladurie et sa belle Histoire de France des régions (Seuil, 2001). On s'interroge aussi sur l'exhumation du mot « province », longtemps rayé de la carte et qu'au demeurant personne ne revendique.
On dispute cependant avec plaisir, en se demandant si Jérôme Batout n'a pas raison de nous prendre ainsi au collet. Après tout, il est vrai que le Roi-Soleil et Colbert ont visé juste ; qu'en 1848 le suffrage universel a établi une paix armée entre l'autorité centrale, les élus locaux et les électeurs ; que le maillage des échanges et des richesses a garanti une sorte de fluidité, de complémentarité et même de division mimétique profitables au pays tout entier, Paris gérant mais la province restant nourricière.
Ce temps-là est révolu, affirme Jérôme Batout, quoi qu'en disent les nostalgiques et les souverainistes. La force du livre est de dire l'ampleur du revirement contemporain en l'arrimant à deux déferlantes, si visibles depuis les années 1980 : la mondialisation d'abord, qui a conduit Paris à « larguer » la province pour « chercher son salut sur les marchés financiers, avec des entreprises sans ouvriers ou des supermarchés sans agriculteurs » et, pour l'argent de poche, la tour Eiffel visitée en masse ; mais aussi la Californian way of life d'importation, qui a « réarmé culturellement la province française » en mettant en vedette ses temporalités au style de vie supposé plus doux, voire plus « bio » et en 5 G.
Si bien que Paris et la province en viennent au désarmement général. Mais la province sera gagnante, puisque sa revanche est très inventive et peut redevenir nourricière. Ainsi s'ouvre l'éventail d'un « champ des possibles », y compris dans l'Outre-Mer, auquel le livre réserve, ce qui est rare, un bon chapitre.
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