[article] in L'Histoire > N° 501 (Novembre 2022) . - p. 88 Titre : | Guide des Classiques : « L'Idée coloniale en France, 1871-1962 » | Type de document : | Livres, articles, périodiques | Auteurs : | Sylvain Veynare, Auteur | Année de publication : | 2022 | Article en page(s) : | p. 88 | Langues : | Français (fre) | Mots-clés : | lecture France colonies thèse | Note de contenu : |
En 1972 Raoul Girardet montrait que, même au temps de son apogée, l'idée coloniale n'a cessé d'être contestée.
La thèse
En trois parties chronologiques, Raoul Girardet analyse la progressive mise en forme de « l'idée coloniale », puis son apogée aux alentours de l'exposition de Vincennes de 1931 et enfin son reflux avec les guerres de décolonisation. Situant son travail sur le plan de « l'histoire collective des idées, des sentiments et des croyances », il identifie les acteurs majeurs de la propagande en faveur de la politique de colonisation, les moyens par lesquels ceux-ci ont entrepris de conquérir l'opinion publique et les innombrables débats auxquels l'idée coloniale a donné lieu, distinguant notamment avec soin les différentes formes historiques de l'anticolonialisme. Loin d'une histoire classique des idées, Girardet, en tentant de mesurer la force de pénétration de l'idée coloniale dans l'opinion publique, livre des analyses que l'on doit inscrire dans la généalogie de l'histoire des représentations et des imaginaires sociaux.
Girardet montre que, même au temps de son apogée, l'idée coloniale n'a cessé d'être contestée - au point que « le débat colonial » aurait peut-être été un titre plus approprié à son livre. Étonnamment, il observe que, au moment de la parution de celui-ci, en 1972, « le débat colonial semble définitivement clos ». Le constat peut nous paraître étrange, aujourd'hui que le passé colonial est omniprésent dans l'espace public. Mais il est peut-être aussi la raison qui fait que, malgré les engagements personnels de l'auteur, son histoire de l'idée coloniale, réduite aux conditions de son émergence, de son triomphe et de sa disparition, est si apaisée, « dix ans après les accords d'Évian ».
Ce qu'il en reste
L'Idée coloniale en France appartient au genre curieux des synthèses qui préexistent aux travaux sur lesquels elles pourraient être fondées. Dans une note liminaire à la deuxième édition (1978), Raoul Girardet présentait ainsi son livre comme le « premier jalon d'une historiographie dont nous ne pouvons prévoir le déroulement ». Depuis lors, en effet, les recherches sur le parti colonial, sur les sciences impériales, sur l'idéologie de la mission civilisatrice, sur les modalités de réception du discours de propagande et sur les différents scandales coloniaux se sont multipliées, précisant et nuançant la thèse de Girardet. Surtout, ces recherches ont dépassé le double cadre - républicain et national - dans lequel Girardet enfermait l'idée coloniale. Elles ont mis en avant d'autres césures que celle de 1871 - remontant aux lendemains de la conquête d'Alger ou à la guerre d'indépendance haïtienne. Se réclamant de l'histoire comparée des sociétés impériales ou de l'histoire transnationale des empires, elles ont également contesté la singularité française de l'idée coloniale.
Sylvain Venayre est professeur à l'université Grenoble-Alpes.
Raoul Girardet
« Singulièrement libre », disait-il. L'itinéraire de Raoul Girardet (1917-2013) fut d'abord celui d'un homme de droite, élevé dans une famille de tradition militaire : maurrassien et membre de l'Action française dans les années 1930 ; résistant issu du nationalisme pendant la Seconde Guerre mondiale ; partisan de l'Algérie française dans le cadre de l'OAS au début des années 1960. Devenu maître de conférences puis professeur à l'Institut d'études politiques de Paris, où il a enseigné pendant une trentaine d'années, il a constitué, avec Jean Touchard et René Rémond, une équipe d'enseignants très populaires auprès de leurs étudiants (dont Jean-Pierre Chevènement, qui signe la brève préface de cette réédition). S'il a publié moins que ses collègues - « par paresse », selon lui -, on lui doit des études dont le sérieux et la rigueur sont d'autant plus remarquables qu'elles portaient sur ses propres passions et valeurs : la société militaire, le nationalisme, le colonialisme et les mythologies politiques françaises.
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[article] Guide des Classiques : « L'Idée coloniale en France, 1871-1962 » [Livres, articles, périodiques] / Sylvain Veynare, Auteur . - 2022 . - p. 88. Langues : Français ( fre) in L'Histoire > N° 501 (Novembre 2022) . - p. 88 Mots-clés : | lecture France colonies thèse | Note de contenu : |
En 1972 Raoul Girardet montrait que, même au temps de son apogée, l'idée coloniale n'a cessé d'être contestée.
La thèse
En trois parties chronologiques, Raoul Girardet analyse la progressive mise en forme de « l'idée coloniale », puis son apogée aux alentours de l'exposition de Vincennes de 1931 et enfin son reflux avec les guerres de décolonisation. Situant son travail sur le plan de « l'histoire collective des idées, des sentiments et des croyances », il identifie les acteurs majeurs de la propagande en faveur de la politique de colonisation, les moyens par lesquels ceux-ci ont entrepris de conquérir l'opinion publique et les innombrables débats auxquels l'idée coloniale a donné lieu, distinguant notamment avec soin les différentes formes historiques de l'anticolonialisme. Loin d'une histoire classique des idées, Girardet, en tentant de mesurer la force de pénétration de l'idée coloniale dans l'opinion publique, livre des analyses que l'on doit inscrire dans la généalogie de l'histoire des représentations et des imaginaires sociaux.
Girardet montre que, même au temps de son apogée, l'idée coloniale n'a cessé d'être contestée - au point que « le débat colonial » aurait peut-être été un titre plus approprié à son livre. Étonnamment, il observe que, au moment de la parution de celui-ci, en 1972, « le débat colonial semble définitivement clos ». Le constat peut nous paraître étrange, aujourd'hui que le passé colonial est omniprésent dans l'espace public. Mais il est peut-être aussi la raison qui fait que, malgré les engagements personnels de l'auteur, son histoire de l'idée coloniale, réduite aux conditions de son émergence, de son triomphe et de sa disparition, est si apaisée, « dix ans après les accords d'Évian ».
Ce qu'il en reste
L'Idée coloniale en France appartient au genre curieux des synthèses qui préexistent aux travaux sur lesquels elles pourraient être fondées. Dans une note liminaire à la deuxième édition (1978), Raoul Girardet présentait ainsi son livre comme le « premier jalon d'une historiographie dont nous ne pouvons prévoir le déroulement ». Depuis lors, en effet, les recherches sur le parti colonial, sur les sciences impériales, sur l'idéologie de la mission civilisatrice, sur les modalités de réception du discours de propagande et sur les différents scandales coloniaux se sont multipliées, précisant et nuançant la thèse de Girardet. Surtout, ces recherches ont dépassé le double cadre - républicain et national - dans lequel Girardet enfermait l'idée coloniale. Elles ont mis en avant d'autres césures que celle de 1871 - remontant aux lendemains de la conquête d'Alger ou à la guerre d'indépendance haïtienne. Se réclamant de l'histoire comparée des sociétés impériales ou de l'histoire transnationale des empires, elles ont également contesté la singularité française de l'idée coloniale.
Sylvain Venayre est professeur à l'université Grenoble-Alpes.
Raoul Girardet
« Singulièrement libre », disait-il. L'itinéraire de Raoul Girardet (1917-2013) fut d'abord celui d'un homme de droite, élevé dans une famille de tradition militaire : maurrassien et membre de l'Action française dans les années 1930 ; résistant issu du nationalisme pendant la Seconde Guerre mondiale ; partisan de l'Algérie française dans le cadre de l'OAS au début des années 1960. Devenu maître de conférences puis professeur à l'Institut d'études politiques de Paris, où il a enseigné pendant une trentaine d'années, il a constitué, avec Jean Touchard et René Rémond, une équipe d'enseignants très populaires auprès de leurs étudiants (dont Jean-Pierre Chevènement, qui signe la brève préface de cette réédition). S'il a publié moins que ses collègues - « par paresse », selon lui -, on lui doit des études dont le sérieux et la rigueur sont d'autant plus remarquables qu'elles portaient sur ses propres passions et valeurs : la société militaire, le nationalisme, le colonialisme et les mythologies politiques françaises.
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