[article] in L'Histoire > N° 508 (Juin 2023) . - p. 80 Titre : | Guide Livres : La vie hors mariage | Type de document : | Livres, articles, périodiques | Auteurs : | Juliette Eyméoud, Auteur | Année de publication : | 2023 | Article en page(s) : | p. 80 | Langues : | Français (fre) | Mots-clés : | livre lecture mariage célibataire veuf moralité libertins | Note de contenu : | Pierre Bourdieu avait enquêté jadis sur le marché de la rencontre dans Le Bal des célibataires (Seuil, 2002), un livre qui sentait bon sa propre jeunesse béarnaise. Ici, au contraire, pas d'enquête, pas d'accordéon ni de paysannerie en crise vers 1960, quand les filles « faisaient banquette » en attendant le dernier slow et que les gars, eux, s'impatientaient. Non, cette Histoire de célibats est une galerie de portraits d'individualités, depuis ces filles de Charlemagne que l'auguste papa garda près de lui pour raisons dynastiques jusqu'à ce Corse soldat de la Coloniale et vaguement poète, né en 1880, qui n'a renoncé à la vie de garçon qu'à 56 ans, pour faire une fin, comme tout l'monde, avec une « payse ». Mais cet éparpillement, assumé par une dizaine de contributeurs, en dit long sur un sujet peu fréquenté : les avatars du célibat laïque, cet état hors mariage si plastique qu'il n'est entré dans le dictionnaire qu'à la fin du XVIIIe siècle et qu'il « peine à être considéré comme objet d'histoire pour lui-même ».
L'amitié plus forte que l'amour
Voici, par exemple, au XVe siècle, à Tours, un veuf éploré qui élève seul ses enfants et poursuit le dialogue avec la morte en annotant son livre de prières. Au XVIIe, Henriette de Conflans, une « fille majeure » de noblesse désargentée qui survit en servant chez une amie et en cultivant des amitiés littéraires, qui s'occupe des derniers biens familiaux, paye ses dettes peu à peu et s'offre même, avant de mourir à 80 ans, fait rare à l'époque, une vieillesse apaisée. Vers 1800, Alexandre Brongniart, le fils de l'architecte de la Bourse de Paris, a cru trouver un bonheur plus sûr en s'isolant dans son laboratoire de savant. Vers 1880, les femmes célibataires placées en asile étaient plus souvent que les autres reléguées au fond d'une province pour désencombrer les établissements parisiens. Madeleine Pelletier, féministe très radicale, a échoué vers 1930 à créer un réseau de « sororité » mais pensait encore que l'amitié seule serait le ciment du contrat social.
Moralité ? « Les demoiselles et damoiseaux, les vieilles filles et vieux garçons, les libertins, les noceurs, les catherinettes, les sans-famille, les solitaires, les disponibles, les libres penseurs et penseuses » n'ont été les apanages ni d'une époque ni d'un groupe social, ni de la richesse ni de la beauté, ni de l'attirance ou non pour les plaisirs de la chair : ainsi allait la vie. Mais avant le XIXe siècle leur célibat n'a pas toujours été synonyme d'isolement, il restait souvent inscrit dans une famille élargie, un lignage, une sociabilité et des réseaux multiformes. C'est le Code civil qui, au contraire, a imposé en droit la supériorité sociale et morale du mariage et qui, du coup, a fait entrer le célibat dans l'âge de la dévalorisation, puisqu'il ne respectait pas la règle du jeu dominant.
De cette péjoration au quasi-abandon du mot lui-même, il n'y a eu qu'un pas depuis le milieu du XXe siècle, quand le célibat n'a plus été défini « en miroir du mariage mais du couple » et que ce dernier a régulé seul la course au bonheur. Fin de bal pour les célibataires.
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[article] Guide Livres : La vie hors mariage [Livres, articles, périodiques] / Juliette Eyméoud, Auteur . - 2023 . - p. 80. Langues : Français ( fre) in L'Histoire > N° 508 (Juin 2023) . - p. 80 Mots-clés : | livre lecture mariage célibataire veuf moralité libertins | Note de contenu : | Pierre Bourdieu avait enquêté jadis sur le marché de la rencontre dans Le Bal des célibataires (Seuil, 2002), un livre qui sentait bon sa propre jeunesse béarnaise. Ici, au contraire, pas d'enquête, pas d'accordéon ni de paysannerie en crise vers 1960, quand les filles « faisaient banquette » en attendant le dernier slow et que les gars, eux, s'impatientaient. Non, cette Histoire de célibats est une galerie de portraits d'individualités, depuis ces filles de Charlemagne que l'auguste papa garda près de lui pour raisons dynastiques jusqu'à ce Corse soldat de la Coloniale et vaguement poète, né en 1880, qui n'a renoncé à la vie de garçon qu'à 56 ans, pour faire une fin, comme tout l'monde, avec une « payse ». Mais cet éparpillement, assumé par une dizaine de contributeurs, en dit long sur un sujet peu fréquenté : les avatars du célibat laïque, cet état hors mariage si plastique qu'il n'est entré dans le dictionnaire qu'à la fin du XVIIIe siècle et qu'il « peine à être considéré comme objet d'histoire pour lui-même ».
L'amitié plus forte que l'amour
Voici, par exemple, au XVe siècle, à Tours, un veuf éploré qui élève seul ses enfants et poursuit le dialogue avec la morte en annotant son livre de prières. Au XVIIe, Henriette de Conflans, une « fille majeure » de noblesse désargentée qui survit en servant chez une amie et en cultivant des amitiés littéraires, qui s'occupe des derniers biens familiaux, paye ses dettes peu à peu et s'offre même, avant de mourir à 80 ans, fait rare à l'époque, une vieillesse apaisée. Vers 1800, Alexandre Brongniart, le fils de l'architecte de la Bourse de Paris, a cru trouver un bonheur plus sûr en s'isolant dans son laboratoire de savant. Vers 1880, les femmes célibataires placées en asile étaient plus souvent que les autres reléguées au fond d'une province pour désencombrer les établissements parisiens. Madeleine Pelletier, féministe très radicale, a échoué vers 1930 à créer un réseau de « sororité » mais pensait encore que l'amitié seule serait le ciment du contrat social.
Moralité ? « Les demoiselles et damoiseaux, les vieilles filles et vieux garçons, les libertins, les noceurs, les catherinettes, les sans-famille, les solitaires, les disponibles, les libres penseurs et penseuses » n'ont été les apanages ni d'une époque ni d'un groupe social, ni de la richesse ni de la beauté, ni de l'attirance ou non pour les plaisirs de la chair : ainsi allait la vie. Mais avant le XIXe siècle leur célibat n'a pas toujours été synonyme d'isolement, il restait souvent inscrit dans une famille élargie, un lignage, une sociabilité et des réseaux multiformes. C'est le Code civil qui, au contraire, a imposé en droit la supériorité sociale et morale du mariage et qui, du coup, a fait entrer le célibat dans l'âge de la dévalorisation, puisqu'il ne respectait pas la règle du jeu dominant.
De cette péjoration au quasi-abandon du mot lui-même, il n'y a eu qu'un pas depuis le milieu du XXe siècle, quand le célibat n'a plus été défini « en miroir du mariage mais du couple » et que ce dernier a régulé seul la course au bonheur. Fin de bal pour les célibataires.
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