[article] in L'Histoire > N° 495 (Mai 2022) . - p. 78-79 Titre : | Guide des Livres : Le dernier roi de Babylone | Type de document : | Livres, articles, périodiques | Auteurs : | Véronique GRANDPIERRE, Auteur | Année de publication : | 2022 | Article en page(s) : | p. 78-79 | Langues : | Français (fre) | Mots-clés : | roi Babylone livre lecture | Note de contenu : | C'est en pleine nuit et sans réaction de ses habitants que le 12 octobre 539 avant notre ère l'antique cité de Babylone tombe aux mains du roi perse Cyrus le Grand. Que s'est-il passé ? Francis Joannès a mené l'enquête.
Le 12 octobre 539 av. J.-C., au petit matin, les habitants de Babylone, la célèbre capitale d'un vaste empire riche et puissant, symbole de la démesure, s'étendant de la Méditerranée au golfe Arabo-Persique et de l'Arabie au Taurus, se réveillent soudain perses ! Leur ville a été prise pendant la nuit sans bataille, sans violence et sans bruit. Pourquoi ? Comment ?
Confrontant diverses sources, à la fois littéraires et textes de la vie quotidienne, dans un style alerte, haletant, ménageant parfois le suspense, Francis Joannès, assyriologue, professeur émérite d'histoire ancienne à l'université Paris-I, entraîne son lecteur, averti ou pas, à la découverte de toute l'histoire de l'empire néo-babylonien.
Cet empire s'émancipe de l'Assyrie en 626 av. J.-C. et s'étend peu à peu jusque sur la côte levantine. L'exploitation économique des provinces se fait au profit de la capitale permettant le renouveau babylonien et la reconstruction de la ville sous Nabuchodonosor II. Enceinte imposante, portes monumentales, palais richement décorés, ziggurats (édifices religieux) rendent cette ville, la plus vaste de l'époque, célèbre dans le monde entier jusqu'aux terres les plus lointaines.
Francis Joannès place au centre de son récit un personnage énigmatique, dont l'attitude, parfois surprenante, a fait couler beaucoup d'encre et est encore aujourd'hui l'objet de discussions entre assyriologues : le dernier roi néo-babylonien, Nabonide ; il évoque aussi sa famille, notamment sa mère Adad-guppi, et son fils Bel-shar-utsur (le Balthazar biblique). Pourtant fidèle à deux des précédents rois (Nabuchodonosor II et Nériglissar), Nabonide accède au pouvoir en 556 av. J.-C., à plus de 60 ans, grâce à un coup d'État. N'est-il qu'un intrigant, un usurpateur cruel, incompétent, sacrilège, hérétique tel que l'ont présenté les textes postérieurs ? Ou s'agit-il d'un homme cultivé ayant une autre idée de la fonction royale ?
Lui qui s'intéresse à l'antique triade astrale Sin (la Lune), Shamash (le Soleil), Ishtar (Vénus) plus qu'à Marduk, le dieu protecteur de Babylone, est comme tous les souverains mésopotamiens un roi bâtisseur, mais il s'en distingue comme roi archéologue. Lorsqu'il restaure les temples, il a à coeur de mettre au jour les vestiges les plus anciens de manière à s'inscrire dans la continuité, à se rattacher aux racines les plus lointaines, celles qui remontent au IIIe millénaire av. J.-C, et font de lui le successeur du grand Sargon d'Akkad ou de l'empire d'Ur, ses modèles.
A son arrivée au pouvoir, il remplace la plupart des hauts fonctionnaires et place comme nouveau chef de l'administration son propre fils Bel-shar-utsur afin d'effectuer une série de réformes administratives et économiques. Comme tous ses prédécesseurs, il se soucie de la richesse de son empire. Il s'engage ainsi dans la campagne d'Arabie dans le but de contrôler de manière permanente les oasis et les points d'eau. Il prend notamment Tayma, plaque tournante du commerce entre le sud de la péninsule Arabique et le Levant.
Mais contrairement à ses prédécesseurs, il y reste plusieurs années. Pourquoi ? Ce séjour prolongé intrigue dès son époque ; aujourd'hui encore les historiens tentent d'en cerner les causes. Francis Joannès confronte la version donnée par Nabonide lui-même dans ses propres inscriptions (stèle de Harran), les différentes versions de ses opposants à partir de sources postérieures issues de ses successeurs (Pamphlet contre Nabonide, Cylindre de Cyrus, Chronique de Nabonide) et aussi la Bible, les textes découverts à Qumran et des textes arabes du IXe-Xe siècle ap. J.-C. comme l'Histoire des prophètes et des rois de Tabari. Peu à peu les raisons du départ de Nabonide en Arabie, celles de son séjour, très, peut-être trop, long, et celles de son retour s'éclaircissent.
L'auteur ne s'intéresse pas seulement à l'histoire politique du royaume. La vie des habitants de Babylone est retracée à partir des archives appartenant à une famille d'entrepreneurs dont la fortune s'est constituée sur plusieurs générations, profitant de la prospérité générale de l'Empire babylonien. Certains de ses membres gravissent les échelons administratifs et se retrouvent dans l'entourage royal. Comment les membres de cette « bourgeoisie d'affaires » vivent-ils les changements politiques (coup d'État de Nabonide, prise de pouvoir par Cyrus ) ? Les Néo-Babyloniens ont-ils d'ailleurs pris conscience d'un changement géopolitique émergeant à l'Est et pouvant remettre en cause leur propre avenir ? Ou sont-ils restés tournés vers les frontières de l'Ouest, notamment celle avec l'Égypte et le projet de Nabonide de s'élancer à travers l'Arabie ?
Pendant l'absence du roi, son fils Bel-shar-utsur dirige Babylone. C'est le moment où la mère de Nabonide, Adad-guppi, âgée selon les sources de 102 ans, meurt. Mais où ? Est-ce lors d'un déplacement militaire en réponse à un raid lancé par Cyrus ? Et où se trouve sa tombe ? Au retour de Nabonide, son fils quitte le devant de la scène. Une nouvelle purge a lieu dans la haute administration. A-t-elle provoqué des rancoeurs ? Le 13 juin 539 av. J.-C., une éclipse de Lune, visible dans tout le Proche-Orient, est prise comme signe d'un désastre imminent. Le présage était véridique : à la fin de l'été, quand les fleuves sont au plus bas, Cyrus, le roi perse, décide de se lancer dans une campagne éclair contre le Néo-Babylonien. Francis Joannès reconstitue les événements de cette fameuse nuit du 11 au 12 octobre 539 av. J.-C., quand quelques soldats perses pénètrent dans Babylone malgré ses murailles réputées inexpugnables et s'en emparent sans aucune réaction de ses habitants.
Rigoureux et d'une grande clarté, cet ouvrage, facile à lire et remarquablement documenté, nous offre ainsi un voyage éclairant au coeur de la Babylonie antique ; un vrai livre d'histoire qui se lit comme un roman.
Mot clé :
Livres
Véronique Grandpierre est chercheuse à l'université Paris-Diderot.
La Chute de Babylone, 12 octobre 539 av. J.-C, Francis Joannès, Tallandier, 384 p., 23,50 €.
|
[article] Guide des Livres : Le dernier roi de Babylone [Livres, articles, périodiques] / Véronique GRANDPIERRE, Auteur . - 2022 . - p. 78-79. Langues : Français ( fre) in L'Histoire > N° 495 (Mai 2022) . - p. 78-79 Mots-clés : | roi Babylone livre lecture | Note de contenu : | C'est en pleine nuit et sans réaction de ses habitants que le 12 octobre 539 avant notre ère l'antique cité de Babylone tombe aux mains du roi perse Cyrus le Grand. Que s'est-il passé ? Francis Joannès a mené l'enquête.
Le 12 octobre 539 av. J.-C., au petit matin, les habitants de Babylone, la célèbre capitale d'un vaste empire riche et puissant, symbole de la démesure, s'étendant de la Méditerranée au golfe Arabo-Persique et de l'Arabie au Taurus, se réveillent soudain perses ! Leur ville a été prise pendant la nuit sans bataille, sans violence et sans bruit. Pourquoi ? Comment ?
Confrontant diverses sources, à la fois littéraires et textes de la vie quotidienne, dans un style alerte, haletant, ménageant parfois le suspense, Francis Joannès, assyriologue, professeur émérite d'histoire ancienne à l'université Paris-I, entraîne son lecteur, averti ou pas, à la découverte de toute l'histoire de l'empire néo-babylonien.
Cet empire s'émancipe de l'Assyrie en 626 av. J.-C. et s'étend peu à peu jusque sur la côte levantine. L'exploitation économique des provinces se fait au profit de la capitale permettant le renouveau babylonien et la reconstruction de la ville sous Nabuchodonosor II. Enceinte imposante, portes monumentales, palais richement décorés, ziggurats (édifices religieux) rendent cette ville, la plus vaste de l'époque, célèbre dans le monde entier jusqu'aux terres les plus lointaines.
Francis Joannès place au centre de son récit un personnage énigmatique, dont l'attitude, parfois surprenante, a fait couler beaucoup d'encre et est encore aujourd'hui l'objet de discussions entre assyriologues : le dernier roi néo-babylonien, Nabonide ; il évoque aussi sa famille, notamment sa mère Adad-guppi, et son fils Bel-shar-utsur (le Balthazar biblique). Pourtant fidèle à deux des précédents rois (Nabuchodonosor II et Nériglissar), Nabonide accède au pouvoir en 556 av. J.-C., à plus de 60 ans, grâce à un coup d'État. N'est-il qu'un intrigant, un usurpateur cruel, incompétent, sacrilège, hérétique tel que l'ont présenté les textes postérieurs ? Ou s'agit-il d'un homme cultivé ayant une autre idée de la fonction royale ?
Lui qui s'intéresse à l'antique triade astrale Sin (la Lune), Shamash (le Soleil), Ishtar (Vénus) plus qu'à Marduk, le dieu protecteur de Babylone, est comme tous les souverains mésopotamiens un roi bâtisseur, mais il s'en distingue comme roi archéologue. Lorsqu'il restaure les temples, il a à coeur de mettre au jour les vestiges les plus anciens de manière à s'inscrire dans la continuité, à se rattacher aux racines les plus lointaines, celles qui remontent au IIIe millénaire av. J.-C, et font de lui le successeur du grand Sargon d'Akkad ou de l'empire d'Ur, ses modèles.
A son arrivée au pouvoir, il remplace la plupart des hauts fonctionnaires et place comme nouveau chef de l'administration son propre fils Bel-shar-utsur afin d'effectuer une série de réformes administratives et économiques. Comme tous ses prédécesseurs, il se soucie de la richesse de son empire. Il s'engage ainsi dans la campagne d'Arabie dans le but de contrôler de manière permanente les oasis et les points d'eau. Il prend notamment Tayma, plaque tournante du commerce entre le sud de la péninsule Arabique et le Levant.
Mais contrairement à ses prédécesseurs, il y reste plusieurs années. Pourquoi ? Ce séjour prolongé intrigue dès son époque ; aujourd'hui encore les historiens tentent d'en cerner les causes. Francis Joannès confronte la version donnée par Nabonide lui-même dans ses propres inscriptions (stèle de Harran), les différentes versions de ses opposants à partir de sources postérieures issues de ses successeurs (Pamphlet contre Nabonide, Cylindre de Cyrus, Chronique de Nabonide) et aussi la Bible, les textes découverts à Qumran et des textes arabes du IXe-Xe siècle ap. J.-C. comme l'Histoire des prophètes et des rois de Tabari. Peu à peu les raisons du départ de Nabonide en Arabie, celles de son séjour, très, peut-être trop, long, et celles de son retour s'éclaircissent.
L'auteur ne s'intéresse pas seulement à l'histoire politique du royaume. La vie des habitants de Babylone est retracée à partir des archives appartenant à une famille d'entrepreneurs dont la fortune s'est constituée sur plusieurs générations, profitant de la prospérité générale de l'Empire babylonien. Certains de ses membres gravissent les échelons administratifs et se retrouvent dans l'entourage royal. Comment les membres de cette « bourgeoisie d'affaires » vivent-ils les changements politiques (coup d'État de Nabonide, prise de pouvoir par Cyrus ) ? Les Néo-Babyloniens ont-ils d'ailleurs pris conscience d'un changement géopolitique émergeant à l'Est et pouvant remettre en cause leur propre avenir ? Ou sont-ils restés tournés vers les frontières de l'Ouest, notamment celle avec l'Égypte et le projet de Nabonide de s'élancer à travers l'Arabie ?
Pendant l'absence du roi, son fils Bel-shar-utsur dirige Babylone. C'est le moment où la mère de Nabonide, Adad-guppi, âgée selon les sources de 102 ans, meurt. Mais où ? Est-ce lors d'un déplacement militaire en réponse à un raid lancé par Cyrus ? Et où se trouve sa tombe ? Au retour de Nabonide, son fils quitte le devant de la scène. Une nouvelle purge a lieu dans la haute administration. A-t-elle provoqué des rancoeurs ? Le 13 juin 539 av. J.-C., une éclipse de Lune, visible dans tout le Proche-Orient, est prise comme signe d'un désastre imminent. Le présage était véridique : à la fin de l'été, quand les fleuves sont au plus bas, Cyrus, le roi perse, décide de se lancer dans une campagne éclair contre le Néo-Babylonien. Francis Joannès reconstitue les événements de cette fameuse nuit du 11 au 12 octobre 539 av. J.-C., quand quelques soldats perses pénètrent dans Babylone malgré ses murailles réputées inexpugnables et s'en emparent sans aucune réaction de ses habitants.
Rigoureux et d'une grande clarté, cet ouvrage, facile à lire et remarquablement documenté, nous offre ainsi un voyage éclairant au coeur de la Babylonie antique ; un vrai livre d'histoire qui se lit comme un roman.
Mot clé :
Livres
Véronique Grandpierre est chercheuse à l'université Paris-Diderot.
La Chute de Babylone, 12 octobre 539 av. J.-C, Francis Joannès, Tallandier, 384 p., 23,50 €.
|
|