[article] in L'Observatoire > 65 (Juin 2010) . - pp.81-84 Titre : | Santé mentale et précarité. L’herbe est plus verte à l’intersection ! - | Type de document : | Livres, articles, périodiques | Auteurs : | Sébastien Alexandre, Auteur | Année de publication : | 2010 | Article en page(s) : | pp.81-84 | Langues : | Français (fre) | Résumé : | La problématique
Dans nos villes, mais aussi ailleurs, des personnes cumulent une situation de grande exclusion sociale, comme celles que l’on dit « sans-abri », et des troubles médico-psychologiques. Les services sociaux et les maisons d’accueil disent voir se détériorer l’état de santé mentale de leur public. Les services d’urgences psychiatriques, les centres de santé mentale, ou encore les hôpitaux, peinent à trouver les bonnes réponses pour aider cette population, et ce pour des raisons propres non seulement à la structure de leurs institutions, mais aussi à la présentation particulière de ces tableaux cliniques.
Nous parlons de ces femmes et de ces hommes affublés du stigmate de la « maladie mentale » parce qu’ils empruntent à l’une ou l’autre catégorie de l’inventaire DSM IV1… Un emprunt a priori classique : nous dénombrerons forcément des personnes diagnostiquées schizophrènes, paranoïaques, mélancoliques, ou encore présentant des troubles liés à l’usage de substances (drogues illicites et licites, comme l’alcool), usage presque systématique en raison de la pression d’un environnement hostile.
Nombreux auront subi quelque traumatisme psychique ou physique et présenteront des troubles dépressifs et anxieux plus ou moins chronifiés.
Mais il est nécessaire d’aller au-delà du diagnostic et de la catégorisation DSM IV. Car ces personnes souffrantes semblent avoir la très mauvaise habitude de résister, autant qu’elles peuvent, à se laisser « transférer » vers les professionnels de la santé mentale. On croirait que, tout comme elles voyagent dans la ville avec l’entièreté de leur avoir dans leurs sacs, tout autant lâchent-elles bien difficilement la proie pour l’ombre : le soutien social pour l’aide psychologique.
Dans ces déclinaisons-là, le passage d’un secteur à l’autre est alors toujours de notre fait professionnel, rarement du leur. C’est d’ailleurs de cette situation que découle, encore trop souvent, le ping-pong psychosocial.
Quelques acteurs des deux secteurs se sont alors pris à rêver d’une rencontre professionnelle, concertante, régulière, vouée à l’exploration commune de ces marges, ou encore de ces bas de page en desquels s’accumulent ceux que les professionnels ont coutume de nommer les « cas difficiles », de ce no man’s land pourtant bien habité.
Cet espace-frontière réunit des acteurs qui partagent une volonté de ne pas abandonner à la rue, à l’errance, ceux qui ne se laissent guère « enfermer » dans des « catégories » nosographiques conformes, sauf à la fameuse liste noire des réputés « intraitables ». Ils acceptent, ce faisant, de réformer, peut-être, leur conception de la « maladie mentale », à coup sûr les modalités d’entrée en contact et d’aide à ces personnes farouches et peu ou « mal » demandeuses de soins. Car, quand ils consentent à se fier à un interlocuteur, ils ont coutume d’adresser leur demande, ambiguë par essence, à ceux qui, de prime abord, ne sont pas en mesure d’y accéder ! Pis encore, ils tolèrent fort peu la référence à un supposé « spécialiste » : ne pas se laisser découper, pour ne pas voler en éclats, en tous les sens, au moindre risque d’intrusion douloureuse. La clinique découlant de ces rencontres avec ces malades mentaux vivant aux confins de la cité, présente une spécificité à nulle autre pareille. Mieux : des partages d’expériences entre les secteurs de la santé mentale et de l’aide sociale naîtront des espaces communs de nouvelles pratiques, des habitudes de « penser et agir de concert », des connivences au profit de clients un peu moins rejetés de part et d’autre de la frontière « psychosociale ».
La rencontre intense et cathartique des deux secteurs de la santé mentale et de l’aide sociale est à ce point fondatrice qu’ils n’auront de cesse de cultiver cette « croisée des chemins », car l’herbe s’avère plus verte à l’intersection. |
[article] Santé mentale et précarité. L’herbe est plus verte à l’intersection ! - [Livres, articles, périodiques] / Sébastien Alexandre, Auteur . - 2010 . - pp.81-84. Langues : Français ( fre) in L'Observatoire > 65 (Juin 2010) . - pp.81-84 Résumé : | La problématique
Dans nos villes, mais aussi ailleurs, des personnes cumulent une situation de grande exclusion sociale, comme celles que l’on dit « sans-abri », et des troubles médico-psychologiques. Les services sociaux et les maisons d’accueil disent voir se détériorer l’état de santé mentale de leur public. Les services d’urgences psychiatriques, les centres de santé mentale, ou encore les hôpitaux, peinent à trouver les bonnes réponses pour aider cette population, et ce pour des raisons propres non seulement à la structure de leurs institutions, mais aussi à la présentation particulière de ces tableaux cliniques.
Nous parlons de ces femmes et de ces hommes affublés du stigmate de la « maladie mentale » parce qu’ils empruntent à l’une ou l’autre catégorie de l’inventaire DSM IV1… Un emprunt a priori classique : nous dénombrerons forcément des personnes diagnostiquées schizophrènes, paranoïaques, mélancoliques, ou encore présentant des troubles liés à l’usage de substances (drogues illicites et licites, comme l’alcool), usage presque systématique en raison de la pression d’un environnement hostile.
Nombreux auront subi quelque traumatisme psychique ou physique et présenteront des troubles dépressifs et anxieux plus ou moins chronifiés.
Mais il est nécessaire d’aller au-delà du diagnostic et de la catégorisation DSM IV. Car ces personnes souffrantes semblent avoir la très mauvaise habitude de résister, autant qu’elles peuvent, à se laisser « transférer » vers les professionnels de la santé mentale. On croirait que, tout comme elles voyagent dans la ville avec l’entièreté de leur avoir dans leurs sacs, tout autant lâchent-elles bien difficilement la proie pour l’ombre : le soutien social pour l’aide psychologique.
Dans ces déclinaisons-là, le passage d’un secteur à l’autre est alors toujours de notre fait professionnel, rarement du leur. C’est d’ailleurs de cette situation que découle, encore trop souvent, le ping-pong psychosocial.
Quelques acteurs des deux secteurs se sont alors pris à rêver d’une rencontre professionnelle, concertante, régulière, vouée à l’exploration commune de ces marges, ou encore de ces bas de page en desquels s’accumulent ceux que les professionnels ont coutume de nommer les « cas difficiles », de ce no man’s land pourtant bien habité.
Cet espace-frontière réunit des acteurs qui partagent une volonté de ne pas abandonner à la rue, à l’errance, ceux qui ne se laissent guère « enfermer » dans des « catégories » nosographiques conformes, sauf à la fameuse liste noire des réputés « intraitables ». Ils acceptent, ce faisant, de réformer, peut-être, leur conception de la « maladie mentale », à coup sûr les modalités d’entrée en contact et d’aide à ces personnes farouches et peu ou « mal » demandeuses de soins. Car, quand ils consentent à se fier à un interlocuteur, ils ont coutume d’adresser leur demande, ambiguë par essence, à ceux qui, de prime abord, ne sont pas en mesure d’y accéder ! Pis encore, ils tolèrent fort peu la référence à un supposé « spécialiste » : ne pas se laisser découper, pour ne pas voler en éclats, en tous les sens, au moindre risque d’intrusion douloureuse. La clinique découlant de ces rencontres avec ces malades mentaux vivant aux confins de la cité, présente une spécificité à nulle autre pareille. Mieux : des partages d’expériences entre les secteurs de la santé mentale et de l’aide sociale naîtront des espaces communs de nouvelles pratiques, des habitudes de « penser et agir de concert », des connivences au profit de clients un peu moins rejetés de part et d’autre de la frontière « psychosociale ».
La rencontre intense et cathartique des deux secteurs de la santé mentale et de l’aide sociale est à ce point fondatrice qu’ils n’auront de cesse de cultiver cette « croisée des chemins », car l’herbe s’avère plus verte à l’intersection. |
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