[article] in Santé mentale > 276 (Mars 2023) . - p. 40-45 Titre : | Travail émotionnel et gestion des émotions | Type de document : | Livres, articles, périodiques | Auteurs : | Aurélie Jeantet | Année de publication : | 2023 | Article en page(s) : | p. 40-45 | Note générale : | Cet article fait partie du dossier " Cultiver ses compétences émotionnelles ". | Langues : | Français (fre) | Mots-clés : | comportement social égalité homme femme émotion expression de l'émotion milieu professionnel norme sociale régulation émotionnelle santé mentale sociologie travail | Résumé : | Les émotions traversent la vie professionnelle et les différentes sphères hors travail dans une forme de continuité. Néanmoins, le « travail émotionnel », lié au milieu professionnel, se distingue de la « gestion des émotions » requise dans toute vie sociale.
La sociologie des émotions part du constat que toute vie sociale requiert des émotions appropriées selon les situations. Il convient d'éprouver par exemple de la joie à la naissance d'un bébé, de la déception en cas d'échec à un concours, de la tristesse à l'éloignement d'un proche... Tant que les sentiments éprouvés correspondent à ce qui est attendu, ces règles ne se font pas sentir. Informelles, implicites et non nommées, elles sont des « allants de soi » (Garfinkel, 1967). Mais, comme nous l'apprenait déjà Durkheim, c'est lorsque « nos manières d'agir, de penser ou de sentir » diffèrent de ce que le social nous dicte que nous ressentons alors, sous l'effet de sanctions, leur caractère contraignant. Un certain malaise s'empare de nous lorsque nos émotions contreviennent à ce que la situation exige. C'est que les émotions sont actives, y compris pour l'apprentissage des règles sociales en général et des règles émotionnelles en particulier. L'embarras, la gêne, la honte, la culpabilité, sont les émotions typiques dont la fonction est de maintenir l'ordre social. Goffman (1974 ; 2013 [1963]) l'avait bien montré à propos du rôle de l'embarras et de la « face » à sauver, et plus centralement Scheff (1988) concernant le rôle de la honte dans la conformation aux règles sociales. Ces émotions peuvent être ressenties dans son for intérieur, à l'abri des regards, ou bien vivement suscitées par l'entourage, qui partage ce malaise ou qui est plus actif en infligeant un sentiment de malaise. Le « Tu devrais avoir honte ! », asséné à l'enfant au comportement déviant, témoigne de l'inculcation de ces émotions socialisatrices. De façon plus subtile et insidieuse, la honte vient aussi du simple fait de ne pas éprouver ce que la situation exigerait que l'on ressente. Car il doit y avoir honte et embarras de ne pas faire communauté, notamment et justement par le fait de ressentir la même émotion à certains moments identifiés comme requérant la participation de tous. On remarquera que ceci rejoint les analyses de Durkheim et de Mauss sur le caractère obligatoire des sentiments, mais va plus loin, grâce à un éclairage à la fois compréhensif et interactionniste, et notamment en mettant en exergue le rôle clef de certaines émotions dans l'intériorisation même des normes émotionnelles. [...] |
[article] Travail émotionnel et gestion des émotions [Livres, articles, périodiques] / Aurélie Jeantet . - 2023 . - p. 40-45. Cet article fait partie du dossier " Cultiver ses compétences émotionnelles ". Langues : Français ( fre) in Santé mentale > 276 (Mars 2023) . - p. 40-45 Mots-clés : | comportement social égalité homme femme émotion expression de l'émotion milieu professionnel norme sociale régulation émotionnelle santé mentale sociologie travail | Résumé : | Les émotions traversent la vie professionnelle et les différentes sphères hors travail dans une forme de continuité. Néanmoins, le « travail émotionnel », lié au milieu professionnel, se distingue de la « gestion des émotions » requise dans toute vie sociale.
La sociologie des émotions part du constat que toute vie sociale requiert des émotions appropriées selon les situations. Il convient d'éprouver par exemple de la joie à la naissance d'un bébé, de la déception en cas d'échec à un concours, de la tristesse à l'éloignement d'un proche... Tant que les sentiments éprouvés correspondent à ce qui est attendu, ces règles ne se font pas sentir. Informelles, implicites et non nommées, elles sont des « allants de soi » (Garfinkel, 1967). Mais, comme nous l'apprenait déjà Durkheim, c'est lorsque « nos manières d'agir, de penser ou de sentir » diffèrent de ce que le social nous dicte que nous ressentons alors, sous l'effet de sanctions, leur caractère contraignant. Un certain malaise s'empare de nous lorsque nos émotions contreviennent à ce que la situation exige. C'est que les émotions sont actives, y compris pour l'apprentissage des règles sociales en général et des règles émotionnelles en particulier. L'embarras, la gêne, la honte, la culpabilité, sont les émotions typiques dont la fonction est de maintenir l'ordre social. Goffman (1974 ; 2013 [1963]) l'avait bien montré à propos du rôle de l'embarras et de la « face » à sauver, et plus centralement Scheff (1988) concernant le rôle de la honte dans la conformation aux règles sociales. Ces émotions peuvent être ressenties dans son for intérieur, à l'abri des regards, ou bien vivement suscitées par l'entourage, qui partage ce malaise ou qui est plus actif en infligeant un sentiment de malaise. Le « Tu devrais avoir honte ! », asséné à l'enfant au comportement déviant, témoigne de l'inculcation de ces émotions socialisatrices. De façon plus subtile et insidieuse, la honte vient aussi du simple fait de ne pas éprouver ce que la situation exigerait que l'on ressente. Car il doit y avoir honte et embarras de ne pas faire communauté, notamment et justement par le fait de ressentir la même émotion à certains moments identifiés comme requérant la participation de tous. On remarquera que ceci rejoint les analyses de Durkheim et de Mauss sur le caractère obligatoire des sentiments, mais va plus loin, grâce à un éclairage à la fois compréhensif et interactionniste, et notamment en mettant en exergue le rôle clef de certaines émotions dans l'intériorisation même des normes émotionnelles. [...] |
| |